Aux États-Unis, l’édition 2022 de la compétition scientifique pour étudiants Regeneron Science Talent Search vient de prendre fin. C’est un concours extrêmement prestigieux qui a été remporté par plusieurs futurs prix Nobel de premier plan comme l’illustre astrophysicien Kip Thorne. Et Christine Ye, la lauréate de cette année semble continuer sur sa lancée; à tout juste 17 ans, elle vient de remporter les 250 000 $ promis au gagnant pour d’impressionnants travaux sur les ondes gravitationnelles.
Même dans le cadre de ce concours qui a pour habitude de rassembler des jeunes gens particulièrement brillants, Ye fait figure d’exception. À un âge où la majorité de ses camarades de classe s’arrachent encore les cheveux sur des équations différentielles, elle a mis sur pied une étude impressionnante à l’ampleur et à la méthodologie digne d’un académicien référencé.
Un mystère qui date de 2019
Il y a d’ailleurs comme un air de déjà vu dans ces travaux. Ils sont en effet basés sur des mesures réalisées par le Laser Interferometer Gravitationnal-wave Observatory (LIGO), un puissant interféromètre qui a pu voir le jour grâce aux travaux nobélisés de… Kip Thorne en personne, ancien lauréat du concours en 1957.
En 2019, les chercheurs aux manettes du LIGO ont détecté un énorme flux d’ondes gravitationnelles. Ce sont des perturbations de l’espace-temps générées par la collision entre deux objets extrêmement massifs, un peu comme les ondulations de l’eau lorsqu’un caillou tombe dans une mare. En l’occurrence, il s’agissait d’un trou noir et d’un second objet non identifié. Lorsqu’ils ont calculé la masse de cet objet mystère, une surprise les attendait; en se basant sur l’intensité de ces ondes gravitationnelles, les scientifiques ont déterminé que l’objet était environ 2,6 fois plus lourd que notre soleil.
C’est une observation extrêmement curieuse; en effet, le catalogue des astronomes ne contient pas vraiment d’objet qui puisse correspondre à cette masse. Elle est située à peu près à mi-chemin entre celle des étoiles à neutrons les plus lourdes et des trous noirs les plus légers.
Malheureusement, en l’absence de nouveaux signaux, personne n’est encore parvenu à déterminer précisément l’identité du second objet. Mais les travaux de Ye et de sa collègue Maya Fishbach ont permis de proposer une interprétation cohérente.
Un travail de fond digne des professionnels
Ye a commencé par se plonger dans la montagne de données collectées par le LIGO lors de cet événement. “J’ai passé beaucoup de temps à regarder et à simuler des pulsars avec NANOGrav”, raconte tout naturellement cette adolescente dans une interview à Space.com. Son objectif : essayer de modéliser un scénario produisant une onde gravitationnelle comparable à celle observée par le LIGO.
Au bout de très nombreux essais infructueux, Ye a touché le jackpot lorsqu’elle a eu l’idée de relancer sa simulation précédente, mais cette fois en testant l’hypothèse d’une étoile à neutron en rotation rapide.
C’est un comportement déjà bien connu des astronomes, et cette rotation a tendance à modifier considérablement les propriétés de l’étoile, y compris sa masse . Mais jusqu’à présent, personne n’avait poussé ce type de simulation aussi loin que Ye. En s’y astreignant, elle a réussi à démontrer par la simulation que les étoiles à neutrons en rotation rapide pouvaient effectivement atteindre une masse compatible avec ces observations. “Mon travail montre que c’est possible, et que c’est une explication cohérente”, affirme Ye.
Une première publication pour lancer une grande carrière ?
Cela ne signifie pas pour autant que l’objet mystère détecté par le LIGO appartient forcément à cette catégorie. Pour s’en assurer, il faudrait pouvoir mesurer la vitesse de rotation de l’objet en question. Malheureusement, les deux objets ont fusionné lors de la collision. Il ne sera donc plus jamais possible d’étudier directement ce corps céleste défunt pour en avoir le cœur net.
Mais quoi qu’il en soit, la portée des travaux de Ye dépasse le simple cadre de cette observation. Maintenant que son modèle a prouvé que des étoiles à neutrons de cette masse étaient théoriquement possibles, l’objectif va être d’essayer d’en repérer une pour obtenir une confirmation expérimentale. Ces données pourront alors être intégrées aux modèles actuels à partir desquels les physiciens travaillent à percer les mystères de notre univers.
Ses travaux sont désormais entrés dans le processus académique de relecture par les pairs; ils devraient bientôt être officiellement publiés. Plutôt impressionnant pour une adolescente de son âge; il ne fait aucun doute qu’elle aura l’embarras du choix au moment de choisir sa future université. Peut-on déjà parler de future candidate au prix Nobel ? Il est encore beaucoup trop tôt pour l’affirmer; mais en tout cas, avec des débuts académiques aussi précoces, elle semble avoir le profil pour y prétendre un jour.
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