Depuis la domestication des canidés, il y a des dizaines de millénaires, nous avons eu d’innombrables preuves qui montrent le lien très particulier qui unit ces bêtes majestueuses à l’espèce humaine. À bien des égards, cette relation est unique dans l’histoire de l’humanité; ce n’est pas un hasard si l’on parle aujourd’hui de “meilleur ami de l’Homme”. Et des chercheurs viennent d’ailleurs de découvrir l’un des éléments moteurs de cette dynamique.
“Les chiens sont uniques de par leur lien réciproque avec les humains“, explique la co-autrice de l’étude Anne Burrows. “On le constate surtout dans les échanges de regards; c’est quelque chose que l’on observe pas avec les autres animaux domestiqués“, insiste-t-elle.
Du loup au chien, des millénaires d’évolution et de sélection
Pour tenter de découvrir les causes de cette relation privilégiée, Burrows et son équipe ont commencé par comparer l’anatomie de chiens contemporains à celle de leurs ancêtres les loups. C’est une façon de déterminer quels sont les traits qui ont été favorisés par la sélection “naturelle” depuis que les premiers canidés ont été domestiqués, il y a plus de 15.000 ans.
Depuis, nos deux espèces forment un tandem redoutable; s’ils ne sont plus aussi importants pour notre survie qu’ils ne l’étaient à l’aube de l’humanité, ils continuent d’occuper une place considérable dans de nombreuses cultures. Et au fil des millénaires, ces espèces ont considérablement évolué au contact de l’Homme.
Ces changements sont le résultat de deux facteurs parallèles. Dans un premier temps, il y a la sélection consciente réalisée par l’Homme pour sélectionner les traits les plus désirables. Il peut s’agir de traits comportementaux comme la loyauté ou l’instinct berger. Aujourd’hui, les critères esthétiques sont également très importants pour les propriétaires.
Mais il y a aussi un autre niveau à prendre en compte : en plus de cette sélection humaine, les chiens ont continué d’être sujets à une forme de sélection qu’on pourrait presque qualifier de “naturelle”, car elle n’est pas pratiquée de façon consciente par les humains.
En effet, puisque l’Homme sélectionne activement les chiens sur la base de ces critères esthétiques, la sélection naturelle a aussi tendance à privilégier les individus qui satisfont ces critères. En évoluant au contact de notre espèce, il se trouve que les chiens ont développé certains traits particulièrement utiles pour interagir avec nous.
Des expressions faciales au service des relations sociales
En l’occurrence, les muscles de la face font partie de ces traits. Pour résumer très sommairement, chez les mammifères, il existe deux grandes catégories de fibres musculaires; les fibres à contraction lente, et celles à contraction rapide.
Les fibres lentes sont courtes, robustes, et très vascularisées; ce sont elles qui vous permettent des efforts soutenus comme courir un marathon ou porter une charge. À l’opposé du spectre, les fibres rapides sont beaucoup plus réactives. Certaines servent dans le cadre d’efforts explosifs; d’autres servent dans le cadre de mouvements fins et délicats. On en trouve par exemple dans les doigts ou dans les muscles du visage qui définissent les expressions.
Et c’est précisément ces dernières qui ont troublé les chercheurs. Ils se sont rendu compte que chez les loups, la musculature faciale est majoritairement composée de fibres lentes (75%). En revanche, chez les chiens domestiqués contemporains, on trouve nettement plus de fibres rapides qui servent au contrôle des expressions (66 à 95%).
C’est cet élément qui leur permet par exemple d’avoir recours aux fameux “yeux de chien battu” au moment de réclamer une friandise. C’est donc un élément fondamental dans la relation entre nos deux espèces. En effet, de nombreuses études ont déjà montré que l’être humain réagit instinctivement aux visages de ses congénères (voir Perception des visages). Parfois, ce câblage neurologique nous pousse aussi à repérer ces mêmes expressions dans des formes très abstraites. Cela marche aussi avec les animaux, comme avec le fameux “sourire” des Shiba Inus.
Un syndrome de Stockholm évolutif
Bien souvent, l’interprétation est archifausse; dans la majorité des cas, ces “expressions” n’ont pas du tout la même signification d’une espèce à l’autre. Mais notre cerveau est tout de même programmé pour les reconnaître; inconsciemment, nous avons donc sélectionné des chiens avec des expressions faciales plus marquées, et donc plus satisfaisantes pour notre cerveau calibré à partir des relations humaines.
“Au cours du processus de domestication, les humains ont sélectionné des chiens sur la base d’expressions faciales similaires aux nôtres“, explique Anne Burrows. “Les muscles des chiens pourraient donc avoir évolué en parallèle pour développer plus de fibres rapides, ce qui a encore facilité la communication entre nos deux espèces”, précise-t-elle.
En d’autres termes : l’humain a commencé un processus de sélection artificielle sur la base de ses propres critères, et l’évolution a fait le reste. Et cela ne doit rien au hasard. En effet, en occident, il n’existe quasiment plus de vraies espèces de chiens sauvages. La survie de l’espèce dépend donc de leur statut d’animal domestique, et par extension, de leur relation avec l’Homme; et en renforçant leur arsenal de communication avec les humains, ces espèces ont aussi amélioré considérablement leurs chances de survie. Une sorte de syndrome de Stockholm évolutif, en somme.
Cela signifie-t-il que l’évolution finira par les doter de la parole pour ces mêmes raisons ? Rendez-vous dans quelques millénaires pour le savoir !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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