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Cette simulation de l’Aube cosmique cache la future cible secrète du JWST

Des chercheurs sont parvenus à modéliser les premières lumières de l’univers précoce avec une précision ahurissante dans des travaux décrits comme une “avancée monumentale”.

Il y a des milliards d’années, le Big Bang a mis le feu aux poudres de notre d’univers. Cet immense cataclysme cosmique a transformé notre monde en une bulle de gaz surchauffée en expansion rapide; en l’espace de quelques nanosecondes, il a donné naissance à une gigantesque bulle de gaz en expansion rapide, et surchauffée à plus de 100 milliards de milliards de degrés Celsius.

Mais ce n’était que le début d’une longue réaction en chaîne. Après cette détonation colossale, l’Univers n’a pas immédiatement pris la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Pour générer toute la matière, à commencer par les atomes qui constituent les corps célestes actuels, il a dû passer par une période parfois qualifiée d’ “Âges Sombres”.

Et la lumière fut

Cela correspond à une longue phase de refroidissement qui a duré plusieurs centaines de millions d’années; à ce moment, l l’Univers était entièrement noir, puisque les étoiles susceptibles de l’éclairer n’étaient pas encore formées. Et depuis que cette théorie a pris forme, de nombreux astronomes et physiciens tentent de comprendre comment l’univers a pu sortir de cette torpeur.

Par la suite, de gigantesques nuages de gaz ont fini par être comprimés sous l’effet des forces gravitationnelles en jeu; en certains points, cette pression s’est révélée suffisamment intense pour y mettre le feu, donnant ainsi naissance à la première génération d’étoiles.

Mais à partir de ce moment, dont l’âge est estimé à 13 milliards d’années, ces astres antiques ont joué un rôle déterminant dans la suite des événements à travers un processus dit de “réinonisation”.  Les premières étoiles ont irradié leur environnement au point d’ioniser tout le matériel avoisinant; cela signifie qu’elles ont arraché les charges électriques des atomes, donnant ainsi lieu à un vaste chamboule-tout cosmique à base de particules.

Cela a eu une conséquence très concrète; les atomes d’hydrogène, plus ou moins omniprésents à l’époque, se sont alors transformés en ions chargés positivement. C’est une étape absolument déterminante; elle a hérité du sobriquet très poétique d’ “Aube cosmique” dans la littérature scientifique, car c’est cette ionisation qui a permis à la lumière de voyager aux quatre coins de l’univers.

Un modèle informatique colossal

Mais ce scénario et ses modalités restent débattus dans la sphère scientifique; aujourd’hui, il est encore très difficile d’affirmer quoi que ce soit avec certitude lorsque l’on travaille sur des événements aussi éloignés dans le temps. Pour étudier cette transition critique, comme souvent dans cette discipline, les chercheurs misent sur des simulations informatiques.

Le problème, c’est que celles-ci sont extrêmement complexes, de l’aveu même des chercheurs. En effet, la réionisation implique des interactions “immensément chaotiques et complexes”, entre des acteurs divers et variés comme la gravité, les gaz, et les radiations – dont la lumière. Pour la simuler correctement, il faut donc modéliser ces relations délicates à des échelles et sur des durées de temps phénoménales.

Pour ces raisons, il n’y a qu’une poignée de laboratoires au monde qui disposent du matériel nécessaire pour réaliser des simulations de cette envergure. “La plupart des astronomes n’ont pas accès à un laboratoire où mener ce genre d’expériences. Les échelles de temps et d’espace sont trop importantes”, explique Rahul Kannan, un astrophysicien affilié à l’université de Cambridge.

Et justement, la prestigieuse université fait partie des quelques institutions qui disposent à la fois du matériel et des cerveaux nécessaires pour mener ce genre de grand projet. C’est d’ailleurs ce qu’ont cherché à faire Kannan et ses collègues.

Pour y parvenir, ils ont tenté de combiner trois éléments grâce au supercalculateur SuperMUC-NG. Une machine colossale qui n’était pas de trop; les chercheurs estiment que ces travaux auraient pu prendre  … plus de 3500 ans à un ordinateur standard. Un chiffre qui illustre bien la complexité du problème.

Armée de ce monstre calculatoire, l’équipe a commencé par combiner une simulation de la poussière cosmique avec le meilleur modèle actuel de formation des galaxies. Ils ont ensuite introduit un “nouvel algorithme” qui “traque la façon dont la lumière interagit avec les gaz”.

https://www.youtube.com/watch&v=oaCRtiSAses&feature=emb_title

Un condensé de milliards d’années de cosmologie

Et il s’agissait apparemment de la bonne recette; ils ont réussi à produire un modèle baptisé Thesan, d’après la déesse étrusque de l’aube. Il s’agit de la première simulation à la fois cohérente et à grande échelle de la réionisation; elle représente les événements cosmiques survenus dans une zone de 300 millions d’années-lumière de long pendant plusieurs milliards d’années. Les premières lumières de l’Univers n’ont jamais été aussi proches !

Grâce à Thesan, les chercheurs ont pu visualiser les interactions de l’univers précoce avec un niveau de détail inouï, complètement inédit à ce jour. Une opportunité en or de dénicher des détails fascinants sur les propriétés du monde à cette époque. En particulier, ils ont pu s’attarder sur l’illumination progressive de cet univers d’un noir d’ébène.

C’est un peu comme l’eau dans un bac à glaçons”, explique Aaron Smith, co-auteur de l’étude. “Ca prend du temps, mais au bout d’un moment, les bords congèlent et la glace fait son chemin jusqu’au centre”, détaille-t-il. “C’était la même chose dans l’univers précoce. C’était un cosmos sombre et neutre qui s’est ionisé et illuminé quand la lumière a commencé à émerger des premières galaxies”.

Ce modèle jouera un rôle déterminant dans les travaux du James Webb Space Telescope. © NASA

Un outil au service du James Webb Telescope

Et le plus intéressant, c’est que ces images fascinantes et pleines d’implications n’ont pas été produites pour le plaisir. Bien au contraire : elles serviront d’outil de travail très concret. Thesan formera un duo de choc avec le James Webb Space Telescope (JWST), la nouvelle coqueluche de l’aérospatiale qui termine en ce moment ses derniers préparatifs.

“De nombreux télescopes comme le JWST sont conçus spécifiquement pour étudier cette époque”, explique Kannan. “C’est là qu’interviennent nos simulations; elles aideront à interpréter les observations réelles et à comprendre ce que nous verrons”, précise-t-il. Et les enjeux sont extrêmement élevés : il s’agit de valider le modèle global sur lequel repose notre compréhension de l’univers, rien que ça !

Et c’est là que ça devient intéressant”, enchaîne son collègue Mark Vogelsberger. “Nos simulations pourraient être cohérentes avec les observations du JWST; dans ce cas, cela confirmerait la pertinence de notre modélisation“, explique-t-il. “Ou il pourrait y avoir une différence significative, ce qui montrerait que notre compréhension de l’univers précoce est erronée !”

Mais il ne faudra pas être pressé; les premières réponses n’arriveront pas tout de suite. Il faudra déjà commencer par attendre la mise en service définitive du télescope. Il faudra ensuite patienter le temps qu’il fixe son objectif sur ses premières cibles; à l’heure actuelle, la NASA se refuse d’ailleurs toujours à communiquer l’identité de son premier objet d’étude, qui reste qualifiée de “super-secrète”.

Une fois cette étape franchie, chaque élément devra être recontextualisé, puis intégré à de nouveaux modèles qui seront à leur tour comparés à Thesan. Alors, seulement, les chercheurs pourront enfin obtenir des éléments de réponse à cette question déterminante. Autant dire que la route reste longue; mais en attendant, nous pourrons toujours nous consoler avec des travaux fascinants comme celui-ci… et avec les premières images très attendues du JWST, qui devraient nous parvenir d’ici quelques mois.

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