Passer au contenu

Ces petits vers sont attirés par le cancer, et c’est une excellente nouvelle

C. elegans est tout sauf photogénique, mais il a ouvert des pistes de recherche sensationnelles dans la lutte contre le cancer.

L’humain sait depuis des siècles que la truffe légendaire de nos amis les chiens est un outil à l’efficacité redoutable. Mais ces dernières années, plusieurs travaux ont mis en évidence d’autres particularités remarquables; on sait aujourd’hui qu’un chien suffisamment entraîné peut par exemple détecter certaines formes de cancer rien qu’à l’odeur. L’idée a donc été explorée avec d’autres espèces… et cela fonctionne aussi avec de petits vers.

C’est en effet l’objet d’une publication étonnante relayée par EurekaAlert, l’organe de veille et de vulgarisation scientifique du prestigieux groupe Science. Le texte, intitulée “Worm on a chip” (“Ver sur une puce”), met en évidence la capacité d’un nématode bien connu à identifier le cancer du poumon; des chercheurs se sont basés sur ce concept pour proposer un test à la fois précis et facile à utiliser.

Un ver qui a du chien

Derrière le nom barbare de ce ver, baptisé Caenorhabditis elegans, se cache une véritable star de la science; même si elle n’est guère photogénique, cette petite bête est un organisme modèle de premier plan. Elle a notamment joué un rôle fondamental dans en génétique et science du développement humain, puisque nous partageons environ 35% de nos gènes. 

Il suffit de visiter le moteur de recherche académique Google Scholar pour constater qu’il existe plus de 1,140,000 papiers de recherche y faisant référence, ce qui est colossal; à titre de comparaison, même le terme “carbon”, qui couvre absolument tous les champs de la science, ne ressort “que” 5,690,000 fois. Et ce n’est pas qu’une notoriété de façade.

C. elegans a servi de support à certains des travaux les plus importants de l’histoire de la biologie. Parmi eux, on trouve même cinq papiers qui ont valu des prix Nobel à leurs auteurs respectifs. Cerise sur le gâteau, C. elegans a même contribué à des travaux absolument essentiels à notre compréhension actuelle du cancer, dans un contexte totalement différent. C’est dire l’importance de ce ver pourtant pas bien grand.

Nos amis les chiens sont capables de détecter certains cancers avec une précision impressionnante, mais ils sont malheureusement assez mal adaptés aux contraintes du monde hospitalier. © Marliese Streefland – Unsplash

Un “ver sur puce”

Il est de notoriété publique chez les chercheurs que ce nématode est particulièrement sensible aux odeurs; certaines l’attirent, tandis que d’autres le repoussent. C’est alors qu’une équipe a eu une idée de génie : et si C. elegans était sensible à certaines cellules cancéreuses, comme c’est le cas chez le meilleur ami de l’Homme ? Rapidement, plusieurs résultats ont suggéré qu’il pourrait s’agir d’une vraie piste.

En se basant sur ces éléments, des chercheurs coréens ont monté leur propre étude. Leur objectif : passer à la phase concrète avec test simple, utilisable en conditions réelles. Ils ont prélevé des échantillons de tissus, certains chez certains individus sains, et d’autres chez des patients souffrant de cancer. Ils ont ensuite exposé deux groupes de nématodes à ces prélèvements.

Le premier groupe était composé de C. elegans normaux. Le second, en revanche, était un groupe de contrôle génétiquement modifié dans le but de les priver de leurs récepteurs olfactifs. Au terme du protocole de test, ils ont constaté que la majorité des vers du premier groupe avait rampé en direction des échantillons cancéreux. En revanche, ils n’ont pas constaté cette différence chez les vers privés de leur odorat.

Leur dispositif basé sur le ver s’est donc comporté comme un test permettant de diagnostiquer le cancer, en l’occurrence du poumon. Une observation qui arrange bien les chercheurs, même s’ils ne parviennent pas encore à l’expliquer. “Nous ne savons pas pourquoi C. elegans est attiré par les tissus de poumon cancéreux, mais nous imaginons que ces odeurs doivent être similaires à celle de sa nourriture préférée”, suggèrent-ils.

Le prototype de test à usage unique développé par les chercheurs. © Nari Jang

Mieux vaut prévenir que guérir

Quelles qu’en soient les raisons, ils ont mené plusieurs séries de tests préliminaires de ce type pour confirmer les résultats. Ils ont estimé que cette méthode permettait de détecter les cellules cancéreuses dans environ 70% des cas. Cela ressemble fort à une preuve de concept impressionnante. Le genre de découverte qui pourrait bien trouver des applications cliniques dans un futur relativement proche.

C’est enthousiasmant car la détection des cancers est un facteur absolument primordial dans la prise en charge de cette maladie. Plus ils sont détectés tard, plus le pronostic s’assombrit. Et parfois très rapidement dans les cas des formes les plus agressives. Le fait de pouvoir les détecter tôt et avec une grande précision est donc un enjeu majeur de la santé publique mondiale.

Malgré cette priorité bien identifiée, il reste très difficile de détecter ces pathologies sournoises. Trop souvent, les patients n’en ressentent pas les symptômes avant qu’il ne soit trop tard; les tumeurs ont la fâcheuse habitude de pouvoir passer inaperçues au début de la maladie. D’après The Cancer Letter, une publication spécialisée dans cette pathologie, 85% des cancers passeraient inaperçus lors de cette phrase précoce. Le problème vient en grande partie du peu d’ options disponibles.

Car aujourd’hui, dans de nombreux cas, une biopsie doublée d’un examen anatomo-pathologique poussé reste la seule façon de proposer un diagnostic précis. Or, pour toutes les raisons que l’on imagine, cette méthode invasive qui consiste à prélever un échantillon de tissu sur un organe suspect se prête assez mal aux examens de routine nécessaires pour anticiper efficacement la maladie…

C. elegans a ouvert des pistes de recherche prometteuse dans la lutte contre le cancer. © Zeynep F. Altun – Wormatlas.org

Une piste très prometteuse qui ne demande qu’à être creusée

Dans ce contexte, ce score de 70% est déjà encourageant pour un test de ce type; mais l’équipe estime qu’elle dispose d’une marge de manœuvre suffisante pour en améliorer encore davantage la précision. Cela pourrait notamment passer par une forme de conditionnement, afin de développer la sensibilité de C. elegans à différentes formes de cancer. Les chercheurs pourraient aussi y parvenir à l’aide de souches de nématodes génétiquement modifiées.

Une fois que la précision sera suffisante, l’équipe espère même adapter son concept à d’autres types de prélèvements. En théorie, en plus des tissus, les chercheurs estiment que cette technique pourrait servir à analyser des échantillons d’urine, de salive, ou même d’air expiré à la façon d’un simple éthylotest. Il s’agirait donc d’une méthode de test non-invasive, avec tout ce que cela implique pour le patient par rapport à la biopsie.

La finalité n’est pas forcément de conserver un stock de nématodes dans chaque laboratoire; à terme, il s’agit plutôt d’identifier précisément les mécanismes physiologiques qui leur permettent de pister ainsi les marqueurs biologiques du cancer. Dans l’idéal, il pourrait même être possible de détecter le cancer plus tôt que ne le permettent les méthodes actuelles.

Cela permettrait alors de produire en masse des tests à la fois peu chers, non invasifs et très précis; de quoi améliorer considérablement la prise en charge globale de la maladie. Un tel produit serait donc une petite révolution en oncologie et en santé publique. Mais cela dépasse encore largement le cadre de ces travaux, et il faudra être patients.

Heureusement, cette équipe n’est pas la seule à travailler sur cette question. On peut donc espérer des avancés conséquentes dans un futur relativement proche. Après plus d’un siècle sous le microscope des chercheurs, C. elegans est décidément loin de nous avoir livré tous ses secrets.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

Source : EurekaAlert

1 commentaire
  1. Une expérience similaire avec des fourmis a également été réalisée avec des tests aussi fiables que le chien, mais seulement 10 jours de conditionnement… et beaucoup moins de volume pour un vivarium que pour une niche.
    Mais le ver, c’est encore plus fonctionnel.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Mode