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Une tortue de Transylvanie a survécu à l’astéroïde qui a tué les dinosaures

Les restes fossilisés d’une tortue retrouvée en Transylvanie montrent que l’espèce a survécu au cataclysme qui a éradiqué les dinosaures… ses lointains descendants survivront-ils à la sixième extinction de masse orchestrée par l’Homme ?

Les tortues sont décidément des dures à cuire. Une affirmation qui semble évidente lorsqu’on observe leur anatomie particulière, mais leur résistance extrême ne se limite pas à leur impressionnante carapace. C’est en tout cas la conclusion de chercheurs de l’université de Tübingen; en Transylvanie, ils ont mis la main sur un fossile de tortue dont tout indique qu’elle a survécu… à l’astéroïde qui a éradiqué les dinosaures.

L’individu en question, dont l’espèce a été baptisée Dortoka vremiri, n’était pourtant pas bien grand par rapport aux tortues géantes que l’on connaît. En comparant les mensurations de la carapace, du plastron et du pelvis à celles des tortues actuelles, ils ont pu extrapoler et déterminer qu’elle mesurait environ 19 cm de long.

Mais surtout, ils ont pu déterminer sa classification. Ils ont estimé qu’il s’agissait d’un membre du sous-ordre Pleurodira. Celles-ci ont la particularité de devoir replier leur cou sur le côté pour rentrer la tête dans leur carapace. Un fonctionnement très différent de la majorité des tortues, qui peuvent simplement replier leur cou dans l’axe.

Ce détail taxonomique en apparence anodin constitue cependant un élément très intéressant pour les chercheurs une fois remis en perspective. En effet, ils ont aussi déterminé que ce fossile de Dortoka vremiri était âgé d’environ 70 millions d’années; mais lorsqu’ils ont identifié sa classification, ils ont aussi remarqué que d’autres représentants du sous-ordre Pleurodira arpentaient la Terre il y a 57 millions d’années, soit 13 millions d’années plus tard.

Cela n’aura pas échappé aux mordus de paléontologie : c’est un intervalle de temps qui contient un événement absolument majeur de l’histoire connue de la Terre. En effet, c’est il y a environ -65 millions d’années qu’un immense astéroïde s’est vraisemblablement abattu sur Terre, décimant ainsi la population des dinosaures dits non aviaires.

Les fossiles de Dortoka vremiri découverts en Roumanie, dans la région de la Transylvanie. © Augustin et. al.

Une espèce rescapée

Ce désastre, les dinosaures ne sont pas les seuls à en avoir fait les frais, loin de là; divers travaux estiment aujourd’hui que 65% à 80% de la vie sur Terre a été éradiquée. Un constat qui concerne tout particulièrement les tortues… et en particulier celles de la famille de Dortoka vremiri. Ce qui est intrigant, c’est que les autres membres de la même famille de tortue n’ont pas survécu à cet événement en Europe de l’Ouest”, explique Felix Augustin, doctorant à l’université de Tübingen.

Dès lors, une question se pose : quelle particularité a bien pu permettre à Dortoka vremiri d’échapper au sort funeste qu’ont connu presque tous ses congénères ? Pour tenter de répondre à cette question, les chercheurs se sont intéressés à la géographie locale. En effet, le bassin transylvanien d’ Haţeg, où le fossile a été exhumé, était à l’époque une sorte d’île qui n’a fusionné avec l’Europe que bien pus tard; Augustin a donc considéré que cette situation particulière aurait pu les isoler du cataclysme.

Mais cette hypothèse est partiellement tombée à l’eau assez rapidement. En effet, il existe une autre espèce baptisée Kallokibotion bajazidi dont les chercheurs estiment qu’elle était aussi présente sur l’île à l’époque. Le problème, c’est que celle-ci a tout de même disparu en même temps que les dinosaures. La situation géographique ne peut donc pas expliquer le phénomène à elle seule.

L’eau douce, un eldorado post-apocalyptique

Les chercheurs se sont donc intéressés à la dernière différence fondamentale entre ces deux espèces : leurs modes de vie respectifs. En effet, Kallokibotion bajazidi est une tortue terrestre, alors que Dortoka vremiri  appartient au groupe des tortues marines. Un élément fondamental qui aurait pu faire toute la différence lors de leurs luttes pour la survie.

“Cela correspond à un schéma déjà observé en Amérique du Nord, à savoir que les espèces terrestres ont été considérablement plus impactées par cette extinction que les espèces vivant en eau douce”, détaille Zoltan Csiki-Sava, paléontologue à l’université de Bucarest, dans un communiqué.

En effet, ces dernières disposaient d’un avantage considérable en ces temps difficiles. En effet, les auteurs expliquent que la chaîne alimentaire de ce milieu est majoritairement basée sur la décomposition de la matière organique; par opposition, le régime alimentaire des animaux terrestres dépend des plantes, soit directement dans le cas des herbivores, ou indirectement pour les carnivores.

Cet élément a complètement changé la donne. Car après l’impact du fameux astéroïde, la Terre n’était plus exactement un paradis végétal. Les diverses estimations chiffrées varient considérablement, et il faut donc les prendre avec des pincettes, mais dans l’ensemble, le constat reste le même, et il est accablant : l’immense nuage de poussière soulevé par l’astéroïde et la modification des conditions locales ont complètement décimé la flore.

Cela signifie que toutes les espèces qui en dépendaient  – dont K.bajazidi – se sont retrouvées privées de leur garde-manger préféré. Mais dans l’eau, la situation était très différente; non seulement la matière organique restait abondante dans l’eau, mais la quantité aurait même pu augmenter suite au cataclysme. Tandis que leurs cousines terrestres devaient s’astreindre à un jeûne forcé, Dortoka vremiri disposait encore d’un garde-manger conséquent qui lui a permis d’assurer sa survie.

Chelus fimbriatus, une espèce actuelle de Pleurodira. © WikiCommons – Stahlkocher

Après l’astéroïde, le cataclysme humain

Márton Rabi, le superviseur de l’étude, explique que cet aspect a représenté un avantage des espèces d’eau douce lors de l’événement d’extinction. C’est une théorie déjà bien définie depuis quelque temps déjà; en revanche, les preuves restent rares et insuffisantes pour confirmer la tendance en termes statistique.

Le cas de Dortoka vremiri est l’un des rares éléments concrets dans ce sens. Les chercheurs espèrent que d’autres travaux de ce type permettront à l’avenir d’identifier comment ces espèces se sont adaptées à ces conditions de crise. Et il ne s’agit pas que de recherche fondamentale; les travaux de ce genre pourraient revêtir une importance toute particulière lors des décennies à venir.

En effet, les éléments qui ressortiront de ces études ne se limiteront pas au cas précis de cette extinction de masse. De façon plus générale, ils pourraient aussi receler des indices sur la façon dont les espèces d’eau douce abordent les crises écologiques en règle générale… ce qui semble effectivement très important, sachant que nous sommes vraisemblablement à l’aube d’une crise climatique qui va continuer de bouleverser durablement ces écosystèmes.

65 millions d’années après avoir survécu à un cataclysme qui a éradiqué une bonne partie de la vie sur Terre, les descendants actuels de K.bajazidi vont donc être confrontés à un nouveau défi existentiel : la sixième extinction de masse, orchestrée cette fois par l’être humain lui-même à cause de son inconscience écologique; espérons que ces animaux négocieront ce nouveau virage avec la même habileté, faute de quoi ils pourraient faire partie des nombreuses victimes du désastre écologique qui semble se profiler.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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