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La Russie stoppe les livraisons de moteurs-fusées aux États-Unis : voilà ce que ça change

Après les “trampolines”, c’est désormais en “balai” volant que Roscosmos propose aux américains de rallier l’espace.

Les tensions actuelles autour de la situation en Ukraine n’en finissent plus d’impacter les relations internationales à de nombreux niveaux, et l’espace en fait aussi les frais ; de nombreux observateurs considèrent que nous sommes à l’aube d’une sorte de “guerre froide spatiale”. Roscosmos, l’agence spatiale russe, vient en effet d’annoncer la fin de toutes les livraisons de moteurs-fusées sur le continent américain.

Nous avons pris la décision de cesser les livraisons de moteurs-fusées produits par NPO Energomash aux Etats Unis“, annonce l’agence. “Laissez-moi vous rappeler que ces livraisons ont été intensives depuis le milieu des années 90”, a déclaré le président de l’institution Dmitriy Rogozine dans un communiqué. Et d’enchaîner sur un ton narquois : “Dans une situation pareille, nous ne pouvons pas continuer à fournir les meilleurs moteurs du monde aux États-Unis. Ils n’auront qu’à voler avec autre chose, leurs balais volants par exemple, ou je ne sais quoi d’autre !

Une saillie qui n’est pas sans rappeler une autre tirade mémorable d’un officiel russe en 2014 ; celui-ci expliquait alors que les Américains pourraient toujours rejoindre l’ISS “en trampoline” si la Russie cessait de coopérer avec eux. Le ton est directement hérité de la période soviétique ; à l’époque, l’aérospatiale russe faisait la pluie et le beau temps dans l’espace.

Elle pouvait donc parfaitement se permettre ce genre de réflexions. Mais le paysage de l’aérospatiale a bien changé ces dernières années.  Même si le chef de l’agence ne rate jamais une occasion d’affirmer le contraire, Roscosmos a aujourd’hui perdu une grande partie l’aura dont elle jouissait à l’époque, tandis que son homologue américain a consolidé sa position et beaucoup mieux négocié cette grande transition générationnelle.

Dmitriy Rogozine a le sens de la formule, mais il existe un écart considérable entre ses déclarations candides et la réalité du terrain. © Роскосмос – WikiCommons

Un coup d’épée dans l’eau ?

Par conséquent, au-delà de la seule dimension symbolique, ces mesures risquent d’avoir à peu près autant d’impact que l’exclusion de l’Eurovision décidée à l’encontre de la Russie… en substance, il y a peu de chances que ces mesures aient une portée significative. Depuis des années déjà, l’aérospatiale américaine a entamé un long travail de fond pour s’émanciper technologiquement de son homologue russe. Le pays dispose aujourd’hui d’un écosystème aérospatial dense et dynamique ; on y trouve de jeunes pousses prometteuses comme Astra, des références désormais bien installées comme United Launch Alliance (ULA) et son taux de succès invraisemblable (100% sur près de 150 missions !), et surtout un chef de file technologique indiscutable avec SpaceX.

À notre connaissance, seules deux d’entre elles dépendent encore des moteurs-fusées russes ; il s’agit justement d’ULA et du titan de la défense Northrop Grumman. Elles s’en servent respectivement pour leurs lanceurs Atlas V et Antares. L’embargo russe ne concerne donc pas la majorité des opérations globales. De plus, les moteurs en question (les RD-180) ont été développés à la fin des années 1990 et commencent désormais à vieillir; l’industrie américaine n’avait donc pas attendu cette décision de Roscosmos et prévoyait déjà de s’en passer à moyen terme.

En effet, l’industrie américaine progresse à grande vitesse sur la question des moteurs. ULA est par exemple déjà engagé dans un processus de transition ; la firme a chargé Blue Origin, de lui développer un nouveau moteur pour sa future génération de lanceurs Vulcan. On peut aussi citer  SpaceX avec ses Raptors, même si leur développement n’a pas été un long fleuve tranquille.

Certes, cela ne signifie pas que la transition se fera sans accroc. Northrop Grumman, par exemple, va vraisemblablement devoir trouver une solution de remplacement dans une relative urgence. Mais à l’échelle de l’industrie, cette décision de Roscosmos restera assez anecdotique pour les États-Unis. Le coup de pression voulu par le chef de l’agence n’aura donc probablement pas les effets escomptés.

Les Etats-Unis ont largement réduit leur dépendance au matériel russe en développant leurs propres moteurs; ici, les Raptors de SpaceX. © SpaceX

Entre excès de fierté et manque de lucidité

Rogozine a le sens de la formule, c’est un fait, mais un verbe affûté ne suffit pas à faire voler des fusées ; et malgré l’attitude candide du dirigeant, c’est quelque chose dont son agence aurait pourtant bien besoin. Car aujourd’hui, il est à la tête d’une institution en souffrance sur le plan logistique, sclérosée sur le plan technologique et dévorée par des accusations de corruption systémique héritées de la période soviétique.

Difficile de dire s’il s’agit d’une posture ou d’une forme de déni ; mais ce qui est sûr, c’est que sous l’impulsion de Rogozine et du Kremlin, l’agence continue de se cramponner tant bien que mal au spectre de sa gloire passée. Elle semble pourtant incapable de redresser la barre depuis de longues années. Il n’est donc pas exclu que cette mauvaise passe soit assez sérieuse, surtout dans le contexte actuel où l’économie russe est frappée par un feu nourri de sanctions économiques lourdes en réponse à l’invasion de l’Ukraine.

C’est un constat très triste, car malgré ses problèmes de fond, Roscosmos reste une institution prestigieuse, et éminemment importante dans l’histoire de l’aérospatiale; personne n’apprécie de voir un tel titan toucher le fond ainsi – à l’exception, probablement, de ses concurrents américains. Mais avec un tel manque de lucidité sur sa propre situation, les illusions de grandeur nostalgico-romantiques de Rogozine risquent d’être douchées rapidement ; au rythme actuel ce sont bien les cosmonautes russes qui pourraient devoir se trouver fournir en balais volants d’ici quelques années… Espérons pour eux que leur collaboration avec la Chine leur permettra de remettre un pied à l’étrier.

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18 commentaires
  1. S’il vous quand vous ne maîtrisez pas un sujet aussi délicat évitez s’il vous plaît d’en parler.
    Merci

  2. C’est triste de voir l’humanité se désagrèger pour des guerres de pouvoir alors que les coopérations internationales lui ont permis de s’élever sur le plan technologique depuis plusieurs décennies, mais de toute évidence, il lui manque encore l’essentiel ! La Sagesse et l’intelligence du cœur qui lui permettraient d’éradiquer la misère des peuples de la Terre et d’aller vers les étoiles dans la paix et l’Amour de la Connaissance ! Un très long parcours pour “élever son état de conscience” lui reste à faire pour l’éternité…

  3. Celui qui a ecris cet article peut il repondre à une seule question. Quel est le seul.pays au monde à pouvoir faire des vols habites ??? Qui enmene les cosmonautes sur l iss ? Comment vont revenir sur terre ceux qui y sont ? Avec le cerf volant de elun musk ??

  4. Encore une ineptie.
    Ça revient à dire que grâce à des milliers de morts, y compris d’enfants, le monde progresse.
    Et tous ces talents disparus qui auraient pu concourir à l’avancée humaine?.

  5. Ça revient à dire que grâce à des milliers de morts le monde progresse.
    Et tous ces jeunes talents disparus à cause de l’égo de quelques uns …

  6. Bonjour @Francis,

    Au lieu de répondre à une seule d’entre elles, je peux même répondre à vos trois questions :

    -Trois pays au monde (et non un seul) sont actuellement en mesure de réaliser des vols habités avec leur propre matériel : la Russie, mais aussi les États-Unis et la Chine.

    -Ces livraisons de moteurs ne concernent pas le partenariat en cours dans le cadre de l’ISS. Dans le cas de la station, les Soyouz russes jouent en effet un rôle central dans la logistique de l’ISS, mais la Russie n’est pas la seule à en être capable. SpaceX a d’ailleurs déjà envoyé quatre astronautes (Raja Chari, Tom Marshburn, Kayla Barron, et Matthias Maurer) à bord de l’ISS le 10 novembre 2021, et elle y envoie déjà régulièrement du matériel.

    -Pour ce qui est du voyage retour, la logistique de l’ISS demeure pour l’instant inchangée malgré le contexte politique. En l’état actuel des choses, les deux agences ont déjà annoncé qu’elles œuvraient pour maintenir la coopération dans le cadre de l’ISS (https://www.space.com/nasa-russia-space-partnership-ukraine-invasion). Et si cette coopération venait effectivement à prendre fin, la firme d’Elon Musk constituerait effectivement un candidat viable pour prendre le relais pour les raisons citées ci-dessus.

    Bien cordialement et en vous remerciant de votre lecture,
    Antoine Gautherie

  7. Les humains se donnent les gloires pour leurs inventions sophistiquées. Ils se disent : nous sommes les êtres les plus intelligents de l’univers. Mais, en réalité, nous sommes les êtres les plus stupides. Qui ne sait pas qu’un jour il partira comme il est venu. Sa seule récompense est: les tonnes des sables au dessus de sa caisse encore s’il à de la chance car il peut être laminé par les poissons ou d’autres. Alors, je me demande pourquoi ces guerres ? Nous sommes que des simples passagers sur cette terre. Profitons-en prouvant nos amitiés sincères Anvers les uns les autres. Nous devons mettre dans nos têtes : quelques soient les victoires obtenues, nous sommes toujours des perdant en soi. Parce que tu partiras un jour. Toutes tes gloires ne serviront à rien pour toi. Alors pourquoi la guerre.

  8. Des talents disparus ???? Vous pouvez aimer spéculer et laisser les défunts en paix… Ce qui n’a pas été fait ne le sera pas plus maintenant à ce niveau là. Je respecte et honore toutes les victimes des guerres, des êtres chers et certains bien pourvu de talents… mais comme on parle de leur talent à proprement parler et que l’on ecarte l’être humain aimé, tout travail peut être repri, changé, développé, contredis… c’est d’ailleurs la définition du progrés

    Les êtres humains ne font que poursuivre le travail de leurs ailleux depuis les temps immémoriaux. Donc talents perdus me semble exagéré

    De plus la guerre apporte le financement de technologies pour prolonger les vies et améliorer les soins, quand ces financements sont extrêment réduit en temps de paix.
    Bon nombre de produits médicaux vous ayant maintenu vie jusqu’alors et permi d’écrire ces commentaires existent grâces au guerres passées

    Le lien entre la guerre et le développement est aussi complexe que celui entre la vie et la mort, mais il ne saurait être nié, désolé les candides

    Plus subjectivement, je crois qu’il faut être arrièré pour se sentir capable de juger du bien ou du mal comme si ça pouvait être objectif !
    Je crois dans la recherche de la compréhension, plus que du savoir
    J’ai foi dans nos émotions plus que dans nos idées

    Une brève analyse de ce qu’est la science et de son histoire pourrait vous être inspirante, et vous comprendrez peut être la nature calculatrice des esprits les plus affûtés. Leur ouverture à toute les formes de réalité

    Je ne souhaite pas de guerre, ni de violence, je souhaite la paix et le ralentissement de tout… pour prendre le temps de vivre et d’apprécier d’être en vie
    Au prix de moins de confort et de satisfaction, on peut alors croire en la vie et en de bonnes sensations

    Ce qui peut être dit sans risque, c’est que la guerre n’est pas une nécessité, pour personne, sauf peut être pour certains qui entrevoient la peur de leur fin sans parvenir à le supporter.

    Mais… ne sommes nous tous pas parcourus de faiblesses et tentés de violence lors de brefs instants ?

    Et si on arrêtait de croire que l’on sait ? Peut être les guerres perdraient tout leur sens et leurs emprises sur nos êtres sensibles ?

    A bon entendeur

    Merci

  9. Notre astronaute français, Thomas Pesquet, est parti en avril dernier sur l’ISS à bord du vaisseau Endeavour de SpaceX. Et revenu sur Terre à bord du même. Donc on peut se passer de Soyuz.

  10. “de nombreux observateurs considèrent ”

    Un beau métier que “d’observer” … et ensuite de “s’autoriser à penser” comme disait Coluche …

  11. Le nucléaire militaire à conduit à l’IRM, le traitement de cancers, les radios … la production d’électricité sans émission de CO2
    Le radar inventé pendant la seconde guerre mondiale a permis de gagner la bataille d’Angleterre et l’utilisation est devenue universelle. Personne ne prend l’avion ? personne n’a jamais utilisé un bateau, les pêcheurs pour localiser les bancs de poissons. etc
    Internet est une invention militaire pour éviter le blackout des communications : qui aujourd’hui imagine le monde sans internet
    Le GPS est une invention militaire, vous n’avez pas de voiture..
    Que dire des satellites qui sont aussi d’origine militaire : pas de télévision, pas de communication, pas de géo positionnement (avion, bateau, voiture, vous … ) sans eux …
    Les systèmes de visions nocturnes ou à IL (intensification lumineuse) sont un autre exemple …

    La liste des avancées technologiques, en médecine, en résistance des matériaux, télécommunications, transports qui découlent de matériel militaire et parfois donc de la guerre fait un kilomètre de long ..

    C’est uniquement factuel , personne n’a jamais dit que la guerre qui tue de nos jours avant tout les civils est une bonne chose ni que ces morts font progresser l’humanité !

  12. J’ajoute…

    Quand on est privé de quelque chose que fabrique quelqu’un d’autre et que l’on se procurer à un bon prix, on a pas envie de développer son propre système pour des raisons économiques.

    Si nous sommes privés de gaz russe, ou d’essence, il n’est pas impossible que l’on se réveille ou fasse en sorte d’accélérer la production d’énergie comme le solaire, l’hydrogène pour les automoteurs, et, comme souvent en sciences, quand on cherche quelque chose, on découvre parfois autre chose intéressant et inattendu !

    Un jour, un chercheur travaillait sur les microondes dans son laboratoire. Il avait dans sa blouse blanche (comme moi…) des carreaux de chocolat. Le chocolat avait fondu … N’importe qui aurait conclu que c’était du à la chaleur ou ne se saurait poser aucune question d’ailleurs. Comme tout bon scientifique , il a observé, émis des hypothèses et conclu que c’était du aux micro ondes sur lesquelles il travaillait . C’est ainsi (en raccourci ) qu’est né le four à micro ondes.

    Du fait de ce conflit, certains privations vont permettre sans aucun doute de se réveiller sur certains sujets , imaginer des alternatives, les tester, découvrir, inventer et donc : progresser

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