En 2020, une équipe de l’European Southern Observatory a fait une découverte saisissante. Ils ont annoncé la découverte d’un trou noir situé à environ 1000 années-lumière de la Terre, soit exceptionnellement proche pour un objet de ce type. Aujourd’hui, à la lumière de nouvelles études repérées par ScienceAlert, il apparaît que ce glouton cosmique n’en était pas un, ou plutôt, pas du type attendu : il ne s’agissait effectivement pas d’un trou noir, mais d’une étoile-vampire qui s’est nourrie de sa voisine.
L’astronomie est parfois une science ingrate. Contrairement à d’autres disciplines comme la biologie, les observateurs du cosmos n’ont pas le loisir de mettre sur pied des dizaines de protocoles expérimentaux pour tester des hypothèses à la chaîne. Bien souvent, ils sont tributaires de signaux non seulement faibles, discrets et difficiles à capter, mais aussi systématiquement incomplets et régulièrement dénaturés.
Lorsque des astronomes observent un phénomène curieux, tout l’enjeu est donc de proposer une explication aussi cohérente que possible à partir de ce quelques pièces mâchouillées d’un vieux puzzle ; ils restent attentifs au fait qu’il s’agit presque toujours d’une extrapolation constellée de zones d’ombres.
Dans l’ensemble, grâce aux progrès de la théorie et de la technologie, les chercheurs sont devenus rudement doués pour formuler des hypothèses solides. Mais l’erreur est humaine et personne n’est à l’abri d’une interprétation erronée, et c’est ce qui est arrivé aux chercheurs de l’ESO avec un objet cosmique baptisé HR 6819.
Une erreur de casting pour commencer
Lorsque celui-ci a été repéré pour la première fois dans les années 1980, les astronomes de l’époque étaient convaincus qu’il s’agissait d’une étoile Be. C’est un type d’étoile un peu particulier qui se distingue par quelques particularités dans son spectre d’émission, mais aussi et surtout par son immense vitesse de rotation.
C’est un type d’objet qu’il est comparativement peu commun d’observer, surtout à l’époque. La communauté scientifique a donc gardé un œil sur cette curiosité. Au fil des observations, il est apparu qu’il pourrait s’agir non pas d’un seul corps céleste, mais d’une paire d’étoiles situées au voisinage l’une de l’autre.
Lorsqu’ils s’intéressent à un corps céleste, les astronomes se livrent généralement à un petit jeu : ils tentent de modéliser le comportement des objets en question à partir des informations à leur disposition. Si leur modèle est cohérent avec la réalité observable, le postulat de départ est probablement assez proche de la réalité ; mais dans le cas contraire, cette différence cache souvent un paramètre important qui a encore échappé aux chercheurs.
Dans ce cas précis, ce sont les oscillations de cette étoile Be qui a interpellé l’équipe de l’ESO. Ils ont constaté que les variations des paramètres orbitaux ne correspondaient pas à leurs modèles ; ils en ont donc déduit qu’un troisième objet situé à proximité venait perturber le tango de ces deux planètes. Leur instinct leur a soufflé qu’il s’agissait d’un trou noir, et à partir des éléments à leur disposition, ils ont publié un papier de recherche présentant le trou noir le plus proche jamais repéré.
Une histoire de distance
Mais cette conclusion n’a pas satisfait tous leurs collègues ; certains d’entre eux se sont montrés sceptiques, et ont continué de défendre une autre hypothèse. Pour eux, les particularités observées ne sont pas nécessairement liées à l’influence d’un trou noir ; il pourrait aussi s’agir d’une conséquence directe de l’interaction entre les deux étoiles.
L’ESO s’est donc associée à un groupe de chercheurs basé au KU Leuven, en Belgique, pour tenter de faire la part des choses. Ce sont ces derniers qui ont fourni l’élément qui a permis de trancher; une “simple” affaire de distance a finalement permis d’exclure la présence d’un trou noir.
Dans un communiqué commun, les deux équipes expliquent que si un trou noir était effectivement présent dans ce système, les deux astres seraient nécessairement assez éloignés loin de l’autre. Ils ont donc attendu patiemment une fenêtre d’observation pour tenter de déterminer la distance qui les sépare. Ils y sont récemment parvenus à l’aide du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, et le résultat a été défavorable à l’équipe “trou noir”.
En effet, cette observation a confirmé que les deux astres étaient très proches l’un de l’autre, bien plus qu’ils ne pourraient l’être en présence d’un tel monstre cosmique ; les deux étoiles ne tournent pas autour d’un trou noir, mais plutôt l’une autour de l’autre à la façon de Tatooine dans Star Wars. Ou, plus précisément, autour d’un centre de gravité commun ; on, parle alors de système binaire.
Une vraie veuve noire cosmique
Il ne s’agit pas d’une déception, bien au contraire ; c’est une formidable occasion d’observer deux étoiles à un moment critique, mais encore très mal documenté de leur vie. En effet, les deux étoiles se livrent à un tango cataclysmique sur fond de requiem. L’une des deux étoiles est à l’article de la mort ; elle est plus ou moins à court des ressources nécessaires pour entretenir les réactions thermonucléaires qui définissent l’étoile.
Et il n’y a pas besoin de chercher bien loin pour trouver le responsable de cette pénurie. Le coupable est tout trouvé : il s’agit de la seconde étoile du couple qui, promiscuité oblige, a tout simplement phagocyté une grande partie des gaz de sa voisine comme une véritable veuve noire cosmique.
C’est un événement relativement commun à l’échelle du cosmos, et les chercheurs s’attendent à ce que ce processus jour un rôle central dans le cycle de vie des étoiles et par conséquent dans la dynamique globale de l’univers. Mais c’est aussi difficile et donc rare de réussir à l’observer ; ces travaux enthousiasment particulièrement les astronomes, puisqu’ils regorgent d’informations potentielles sur l’évolution et la fin de vie des étoiles.
“C’est extrêmement difficile de surprendre deux étoiles dans cet état, peu après cette interaction, car la fenêtre d’observation est très courte”, se félicite Abigail Frost du KU Leuven dans le communiqué. “Cela rend notre découverte très excitante, car cela en fait un candidat parfait pour étudier la façon dont ce vampirisme affecte l’évolution des étoiles, et par extension la formation des phénomènes associés, dont les ondes gravitationnelles et les supernovas.”
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