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Un immense projet scientifique va séquencer le génome de tous les êtres vivants

Les chercheurs de l’Earth Biogenome Project cherchent à séquencer le génome de tous les êtres vivants complexes jamais identifiés sur Terre; ce projet pharaonique aux implications potentiellement immenses va désormais passer aux choses sérieuses.

La science est souvent un chemin de croix fastidieux, qui progresse grâce à l’accumulation de petites avancées discrètes. Mais elle est aussi propulsée par de grands projets et des succès retentissants qui constituent aujourd’hui les fondations de notre patrimoine scientifique. On peut par exemple citer l’Human Genome Project, qui s’est soldé par le séquençage complet du génome humain; une équipe de chercheurs veut désormais passer à la vitesse supérieure avec l’Earth Biogenome Project (EBP), qui vise à séquencer le génome de… toutes les espèces complexes sur Terre.

Ce projet qui rassemble 44 institutions de 22 pays a officiellement démarré en 2018, mais demeurait depuis dans un état de semi-hibernation; il va désormais monter en puissance afin de rentrer dans le vif du sujet avec le début de la première phase. Et le programme est particulièrement chargé. Ils vont commencer par essayer de séquencer un représentant de chaque famille taxonomique, soit environ 9400 génomes selon Jenny Graves, professeure de génétique évolutive affiliée au projet.

Cette première étape demandera déjà un travail de titan aux chercheurs; ils ont bon espoir de pouvoir en séquencer environ un tiers d’ici la fin de l’année. Et ce n’est encore qu’un avant-goût du travail de fourmi qui les attend. Lors de la phase 2, qui commencera à une date non déterminée, ils devront séquencer un représentant de chaque genre taxonomique, ce qui représente cette fois 180.000 individus. Mais la vraie épreuve sera la troisième phase, qui consistera à séquencer l’intégralité des organismes “complexes” décrits dans la littérature scientifique, soit environ 1,8 million de génomes de plantes, d’animaux, de champignons…

La Bible du biochimiste

Difficile de prendre conscience de l’ampleur de cette tâche pharaonique, et on peut même se demander pourquoi ces chercheurs s’infligent un tel parcours du combattant. La réponse est simple : s’il était possible de comparer le génome de tous les êtres vivants complexes, les chercheurs disposeraient d’un véritable catalogue débordant de découvertes potentielles. En effet, c’est souvent dans les différences très subtiles entre différentes espèces que se cachent les éléments les plus intéressants.

Étudier les différences entre des organismes relativement semblables permet d’identifier des mécanismes qui seraient autrement passés inaperçus. © Edmund Reitter — Fauna Germanica

La capacité à comparer les génomes d’ espèces apparentées de près ou de loin est un outil formidable pour découvrir ce que font les gènes et la façon dont ils sont régulés”, s’enthousiasme Jenny Graves.

Ce qui motive les chercheurs du projet, c’est aussi une volonté tenace de ne rien laisser au hasard. “Si nous séquençons seulement 69.999 des 70.000 espèces de nématodes, nous pourrions rater celle qui pourrait nous apprendre comment ils causent des maladies chez les animaux et les plantes”, cite Jenny Graves en guise d’exemple. Pour cette raison, le projet EBP sera aussi une formidable occasion d’étudier des espèces particulièrement obscures, car pas franchement “à la mode” dans la communauté scientifique.

Étudier la “matière noire” du génome

C’est particulièrement important, car une immense majorité de la science actuelle travaille avec la même sélection restreinte d’organismes modèles comme la souris, le poisson-zèbre ou l’incontournable drosophile. Une approche systématique qui nous a permis de faire des progrès considérables, mais qui comporte aussi ses limites; en généralisant ainsi, on se prive potentiellement d’autres découvertes tout aussi intéressantes.

C’est là que réside l’un des autres avantages concrets de ce projet. Il permettra de jeter un coup de projecteur sur de très nombreuses espèces au potentiel mal identifié. Cela permettra alors de découvrir de nouveaux modèles potentiels et de renforcer nos connaissances sur ceux que l’on utilise déjà, pour pouvoir s’en éloigner avec plus de confiance.

D’ici quelques années, il faudra peut-être rajouter une vignette sur cette frise qui retrace l’ histoire du séquençage génétique. © Yang et. al.

Et au bout de compte, il ne s’agit pas seulement d’un travail d’archivage à l’échelle de la planète. Les chercheurs souhaitent explorer ce que Graves désigne comme la matière noire du génome pour décortiquer le rôle précis de chaque pièce de cet immense puzzle. Avec pour objectif de créer de nouvelles fondations pour la biologie de demain, et dans un futur aussi utopique que lointain, de “protéger la biodiversité et maintenir les sociétés humaines.”

Le projet mettra des années, voire des décennies à aboutir, mais le jeu en vaut la chandelle; une fois abouti, l’Earth Biogenome Project pourrait bien se trouver une place au panthéon des contributions scientifiques aux côtés du Human Genome Project et du protéome humain d’AlphaFold.

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