Aux côtés des primates, des pieuvres ou des éléphants, les corbeaux font partie de ces animaux qui manifestent une intelligence évidente, avec certains comportements parfois étonnamment proches de l’humain. On sait déjà qu’ils sont particulièrement doués pour utiliser des outils, mais des chercheurs viennent de démontrer que cette comparaison peut aller très loin; comme la plupart des humains, ils sont sensibles à la valeur intrinsèque de leurs outils.
“Beaucoup d’entre nous font très attention à leurs nouveaux téléphones“, introduit Barbara Klumb, comportementaliste au prestigieux Institut Pax Planck, en Allemagne. “Nous faisons attention à ne pas l’égratigner, le laisser tomber, ou le perdre. Par contre, nous manions nos vieux engins à l’écran fracturé avec bien moins de précautions“, explique-t-elle. Les derniers travaux de son équipe ont montré que corbeaux calédoniens adoptent un comportement similaire avec leurs outils.
De véritables génies à plumes
Les chercheurs se sont intéressés au corbeau calédonien, une espèce réputée pour ses capacités cognitives bluffantes, comparables à celles d’un enfant de sept ans. On sait par exemple qu’ils disposent d’une mémoire redoutable et d’une capacité à discerner les individus. Ils sont aussi capables de résoudre des énigmes largement hors de portée d’un jeune enfant, et même de comprendre des analogies. Mieux : ils sont même capables de réussir un célèbre test de self-contrôle (le test dit “du marshmallow”) mieux qu’un enfant !
Mais l’aspect qui intéresse le plus les chercheurs, c’est certainement leurs prouesses d’ingénierie. En effet, ces oiseaux sont extrêmement doués lorsqu’il s’agit d’utiliser des outils, notamment pour se nourrir. Mais surtout, ils sont capables de confectionner leurs propres ustensiles à partir de pièces individuellement inutiles. Un signe d’abstraction qui témoigne d’une grande intelligence, et qui n’a été observé que chez des primates auparavant.
Ils sont par exemple connus pour sélectionner méticuleusement les éléments qui leur permettent d’accomplir des tâches dont ils seraient autrement incapables; on sait par exemple qu’ils fabriquent de véritables cannes à pêche pour aller piocher des proies dans des interstices où leur bec ne passerait pas. “Selon la tâche, les corbeaux peuvent extraire leur proie 10x plus rapidement avec un outil courbe”, explique Christian Ruiz, comportementaliste à l’Université de St Andrews.
Les corbeaux tiennent à leurs bibelots
Lorsqu’ils leur ont proposé divers types d’outils, les chercheurs ont remarqué que les corbeaux sélectionnent presque systématiquement les bâtonnets en forme de crochet, qui sont nettement plus difficiles à trouver ou à assembler. Une observation qui n’a rien de coïncidence; cela suggère que ces oiseaux reconnaissent instinctivement l’intérêt potentiel de cette pièce dans la conception d’un outil élaboré.
Et les chercheurs n’étaient pas au bout de leurs surprises. Car ces corbeaux ne font pas que reconnaître la valeur de ces objets : ils en tiennent compte dans leur façon de les utiliser et de les conserver. “Les sujets étaient significativement plus enclins à adopter des comportements de sauvegarde” avec les ustensiles courbés, expliquent les auteurs de l’ étude.
Ils ont ainsi observé que les volatiles conservaient précieusement ces objets courbés, qui sont très utiles et difficiles à trouver, dans des zones de stockage prédéfinies et plus sécurisées. Certains les gardaient ainsi directement sous leur patte, tandis que d’autres les dissimulaient dans des trous discrets pour les récupérer plus tard. En revanche, ils ne s’embarrassent aucunement de ces précautions pour de simples brindilles droites.
Décision, abstraction, et planification
“Cela suggère qu’ils ont une conception de la valeur relative des différents outils”, expliquent les chercheurs. Un peu comme un humain qui prendrait nettement plus soin d’un smartphone haut de gamme que d’un vulgaire téléphone jetable, en somme.
Cette notion de la valeur serait directement liée à leurs capacités d’abstraction et de planification. On sait en effet qu’ils sont capables de se formuler une image mentale d’un problème pour le résoudre dans leur tête avant d’agir. Conserver ces outils constitue en substance la première étape de la résolution d’un problème futur.
Les chercheurs précisent cependant que les conditions expérimentales de leur étude ne leur ont pas permis de pousser l’interprétation aussi loin qu’ils l’auraient souhaité, par souci d’honnêteté intellectuelle. En effet, pour s’assurer que ce comportement ne résultait pas d’une influence humaine, ils ont dû capturer puis accommoder des corbeaux sauvages eux-mêmes. Une tâche très chronophage et exigeante lorsque l’on veut préserver le bien-être des animaux; ils n’ont donc pu réaliser leurs expériences que sur 27 oiseaux.
Mais ce chiffre est néanmoins suffisant pour mettre en évidence ces comportements fascinants, dont on pensait qu’ils étaient réservés aux hommes et à quelques autres primates. Un bon rappel que l’intelligence est un concept protéiforme et infiniment plus complexe qu’une simple échelle de QI… et que des oiseaux sont apparemment plus enclins à prendre soin du matériel que certains humains !
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