Ceux qui se sont amusés à compter les pattes d’un mille-pattes lorsqu’ils étaient enfants ont tous été confrontés à la même dure réalité : il s’agit d’une vaste supercherie, et ces petites bêtes sont en réalité bien loin d’atteindre ce cap symbolique. Du moins, c’était le cas jusqu’à hier, quand des chercheurs américains et australiens ont publié la découverte du premier “vrai” représentant de cette catégorie !
Ses découvreurs l’ont baptisé Eumillipes persephone; un sobriquet qui permet de marquer le coup, sachant qu’en grec ancien, le préfixe eu- signifie “vrai” ou “véritable”. Et il ne s’agit pas d’un abus de langage, puisque le corps de ce myriapode est effectivement garni de quelques 1306 pattes. C’est donc une façon de rappeler qu’il s’agit du seul vrai représentant connu de la catégorie officieuse des “mille-pattes”. Les autres comme Illacme plenipes, qui était jusque là le tenant du titre avec ses 750 pattes, ne sont que de vulgaires usurpateurs.
Le second terme de son patronyme n’est pas non plus le fruit du hasard. Dans la mythologie grecque, Perséphone est la déesse du monde souterrain; c’est donc un nom particulièrement bien trouvé pour ces spécimens. En effet, les chercheurs les ont dénichés dans les tréfonds d’une mine de la province australienne d’Eastern Goldfields, à plus de 60 mètres de profondeur.
Morphologiquement parlant, il ressemble globalement aux autres myriapodes; ce sous-embranchement comporte de nombreuses autres créatures parfois injustement qualifiées d’insectes. Tous présentent toutes de longs corps segmentés pourvus de nombreuses pattes. Ce spécimen se distingue cependant par le nombre de ces segments (330 au total). Sa longueur est aussi assez impressionnante par rapport à sa taille globale; il mesure en moyenne moins d’un millimètre de large pour environ 10 centimètres de long.
Un parfait inconnu
Pour l’instant, les chercheurs n’ont débusqué que quatre spécimens. Ils disposent donc d’une quantité d’informations assez limitée. Par exemple, ils n’ont pas encore la moindre idée de son régime alimentaire, ni s’il existe dans d’autres niches écologiques. En revanche, ils ont une idée assez claire de la réponse à la question la plus intéressante; pourquoi diable la sélection naturelle favoriserait-elle une morphologie aussi exubérante ?
Pour les chercheurs, il s’agirait avant tout d’une adaptation assez extrême à leur habitat. En effet, toutes ces caractéristiques sont des outils d’une efficacité redoutable dans les profondeurs; ils leur permettent vraisemblablement de se frayer un chemin dans les crevasses étriquées du sous-sol australien. “L’animal présente une locomotion télescopique qui lui permet de se propulser dans un microhabitat souterrain variable et imprévisible”, expliquent les chercheurs. “Cette augmentation du nombre de pattes contribue probablement à lui donner davantage de traction pour se faufiler à travers des ouvertures et crevasses étroites”, précisent-ils.
Les souterrains, un écosystème mal-aimé mais si précieux
Les chercheurs en ont profité pour développer un plaidoyer pour la protection des sous-sols. En effet, ils recèlent une multitude de niches écologiques encore largement inexplorées. Celles-ci abritent une biodiversité phénoménale que l’humain malmène régulièrement. Il s‘agit parfois de négligence, mais c’est aussi et surtout un écosystème que les humains sont souvent satisfaits d’ignorer.
Et c’est un point qu’il est toujours très important de rappeler. En effet, les humains sont toujours au rendez-vous lorsqu’il s’agit de protéger des bêtes très photogéniques comme des pandas ou des lionceaux. Mais c’est tout l’inverse lorsqu’elles rampent et qu’elles sont garnies de dizaines de pattes. Eux n’ont droit à aucune campagne de sensibilisation; on les retrouve plus souvent dans des scènes de film terrifiantes comme dans King Kong. Le plus souvent, ils y jouent le rôle d’horribles monstruosités mangeuses d’hommes.
Une représentation très souvent loin de la réalité et qui participe à leur mauvaise image auprès du grand public. “Cachez ces vilaines bestioles que je ne saurais voir”, pourrait-on alors résumer sommairement en parodiant la célèbre phrase de Tartuffe. Un désamour finalement injustifié sachant qu’au bout du compte, leur seul crime est bien souvent d’être moins “instagrammables” qu’un bébé koala nourri au biberon.
Et c’est d’autant plus dommageable que cela a des conséquences sur la préservation de ces espèces fascinantes, mais aussi sur notre environnement direct ! “Ces habitats souterrains et leurs habitants sont très largement sous-étudiés, en dépit de leur importance écologique dans la filtration de l’eau et le traitement des toxines”, expliquent les chercheurs. Il est donc plus que temps de consacrer l’attention qu’elle mérite à la face moins séduisante de notre écosystème.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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