La recherche de vie extraterrestre a toujours fait fantasmer la science comme le grand public, et cela n’a jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui. Le rover Perseverence y a même été envoyé précisément pour cette raison; il continue aujourd’hui d’arpenter l’ancien lac du cratère de Jezero, dont certains pensent qu’il aurait pu être le berceau d’une vie passée sur Mars. Nous pourrions donc être plus proches que jamais de trouver des vestiges biologiques… et d’après certains chercheurs, cela impose d’être particulièrement vigilant.
Les chercheurs pourraient en tirer des tas d’informations sur le passé de Mars et des éventuelles populations qui la peuplaient. Mais lorsque l’on s’est lancé à corps perdu dans une saga scientifique aussi passionnante, on développe forcément un certain affect pour la question, avec toutes les conséquences que cela implique.
Ce cerveau qui nous joue des tours
On s’expose notamment à un biais de raisonnement bien connu : le biais de confirmation. Ce terme désigne notre fâcheuse tendance à privilégier les éléments et interprétations qui vont dans le sens de nos convictions préétablies, tout en occultant les éléments qui supportent d’autres conclusions sans forcément s’en rendre compte. Très sommairement, cela signifie que le cerveau humain adore prendre ses rêves pour des réalités dès que l’affect entre en jeu.
Cela va évidemment à l’encontre de tous les principes qui sous-tendent la méthode scientifique, et c’est un biais bien connu que la communauté scientifique cherche à éradiquer; c’est l’une des raisons d’être des comités de relecture qui passent en revue les travaux des autres chercheurs avant publication. Mais malgré ces précautions, même les professionnels chevronnés restent des humains et ne sont pas invulnérables aux biais; pour les chercheurs anglais Sean McMahon et Julie Cosmidis, estiment qu’une piqûre de rappel s’impose pour éviter des déconvenues dommageables à l’avenir.
Vraies traces de vie ou vulgaires “faux-ssiles” ?
Dans leur publication, les chercheurs ciblent particulièrement les travaux qui se basent sur les microfossiles. Avec les signatures biochimiques il s’agit de la piste la plus prometteuse pour identifier des traces de vie passée; ils font donc partie des éléments que Perseverance cherche à identifier dans ses multiples prélèvements de sol martien.
Il s’agirait d’une découverte incroyablement excitante, mais qui devrait être traitée avec beaucoup de précautions. En effet, les auteurs de l’étude expliquent avoir identifié “des dizaines” de processus biologiques et géologiques qui pourraient produire de petites structures similaires à des microfossiles, comme les jardins chimiques. Il existe donc un vrai risque à formuler des conclusions hâtives à partir de ces découvertes.
“Par le passé, [la communauté scientifique] a déjà été bernée par des processus qui imitent la vie”, avertit l’astrogéologue Julie Cosmidis. “À de nombreuses reprises, nous avons décrit des objets qui ressemblaient à des microbes fossilisés dans de vieilles roches terrestres, ou même des météorites. Mais après une analyse plus poussée, ils se sont avérés être d’origine non biologique”.
Un plaidoyer pour la rigueur scientifique
Pour lever ces ambiguïtés qui vont très probablement se présenter un jour ou l’autre, y a donc urgence à mettre en place des garde-fous méthodologiques extrêmement solides. “Pour chaque type de fossile qui existe, il y a au moins un processus non biologique qui peut aboutir à des structures similaires. À un moment donné, un rover martien va donc très certainement trouver quelque chose qui ressemblera à un fossile”, insiste l’astrobiologiste Sean McMahon. “Il est vital de pouvoir distinguer ces structures”, conclut-il.
Ce raisonnement est d’autant plus important qu’on peut aussi l’extrapoler à d’autres “preuves” potentielles, comme les marqueurs biochimiques. C’est par exemple le cas des émissions de méthane. On associe traditionnellement la présence de ce gaz à la présence de vie, car il est présent dans le cycle biologique de nombreux êtres vivants. Mais il serait mal avisé d’oublier qu’il peut aussi provenir de processus complètement abiotiques, c’est-à-dire sans lien avec la vie. C’est par exemple le cas du processus de serpentinisation que l’on connaît déjà sur Terre, et qui pourrait expliquer des pics de méthane repérés sur d’autres planètes.
Nous ne savons donc toujours pas s’il y a de la vie sur Mars. Mais une chose est sûre : si nous trouvons un jour des éléments qui semblent confirmer cette hypothèse, il faudra un vaste effort interdisciplinaire de la part de toute la communauté scientifique pour lever la moindre ambiguïté. Après tout, il serait dommage que l’une des plus grandes découvertes de notre civilisation soit entachée par un simple biais de raisonnement !
Le texte de l’étude est disponible ici.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.