En septembre dernier, nous vous parlions d’un article terrifiant du Wall Street Journal, qui montrait sans ambiguïté que Facebook et Instagram étaient parfaitement conscients de leur impact sur la santé mentale des jeunes. Depuis, les troupes de Mark Zuckerberg ont fait bloc pour minimiser la portée de ces révélations, et continuent encore d’entretenir un certain flou artistique.
Pour rappel, le WSJ avait tiré la sonnette d’alarme quand il a eu accès à des synthèses de recherches menées par la firme (disponibles ici) . Celles-ci montrent clairement que la fréquentation des réseaux sociaux a tendance à provoquer une certaine addiction tout en favorisant un tas d’émotions négatives chez les jeunes.
Une situation qui a poussé certains observateurs, dont le sénateur Richard Blumenthal, à parler de “tactique digne de l’industrie du tabac, à savoir viser des jeunes avec un produit potentiellement dangereux en cachant la réalité scientifique” Et avec le recul, il faut admettre que la comparaison était encore plus appropriée qu’il ne le pensait à ce moment-là.
Car d’après The Verge, à peine quelques heures plus tard, Facebook se serait lancé dans un vaste travail de sape pour décrédibiliser la lanceuse d’alerte à l’origine des fuites. Une méthode qui, là encore, semble empruntée aux marchands de nicotine. On ne peut s’empêcher de remarquer les similitudes avec une autre affaire de 2004, où cette industrie à plusieurs billions de dollars avait descendu en flammes un lanceur d’alerte trop entreprenant.
Des experts ont constaté le même phénomène
En parallèle, ses équipes se sont évertuées à expliquer qu’il s’agissait simplement de documents de travail internes, qui ne montrent aucun lien avec une quelconque réalité clinique. Une explication techniquement juste, mais indiscutablement trompeuse. Car Facebook n’existe pas en vase clos, et malgré les protestations, des milliers de chercheurs et sociologues ont pu s’intéresser à ces résultats.
Et puisqu’il n’y a jamais de fumée sans feu, certains ont mené leurs propres travaux sur le sujet. Et parmi eux figurent des experts contactés par The Verge. C’est le cas de Melissa Hunt, psychologue clinicienne à l’université de Pennsylvanie. Celle qui juge “malhonnêtes” les explications du groupe, et affirme notamment que son équipe a identifié “exactement les mêmes phénomènes” que Facebook lors d’une étude randomisée.
Elle explique surtout que dans ce cas de figure précis, les chiffres exacts n’ont que très peu d’importance. Un constat en opposition à ce qu’affirme ce réseau “conçu pour être addictif”. Selon elle, “ces résultats devraient quand même être profondément alarmants, et devraient instantanément mener à des travaux plus rigoureux”.
Et c’est bien cet aspect dont la défense de Facebook ne semble absolument pas tenir compte. Ce qui lui est reproché, ce n’est pas son interprétation de ces travaux; le souci, c’est qu’ils ont été soigneusement balayés sous le tapis. Leur importance aurait été sciemment minimisée alors qu’ils auraient dû constituer un signal d’alarme immédiat, synonyme de recherches approfondies. Une politique de l’autruche assez révoltante pour le grand public.
Un double-jeu qui bat de l’aile
Facebook a beau clamer à qui veut bien l’entendre qu’il reste très sensible à ces questions, il faut admettre que les paroles et les actes sont souvent en totale contradiction. La firme explique pourtant faire des efforts. Mais au bout du compte, cette opacité permanente ne fait qu’attiser le scepticisme des observateurs.
La firme continue pourtant d’affirmer que ces fuites sont contre-productives, et qu’elles contribuent à une mauvaise interprétation des résultats par le public. Dans une interview à CNN, le vice-président de la communication, Nick Clegg, a également rejeté en bloc la comparaison avec l’industrie du tabac. Pour ce faire, il pose une question rhétorique qui était probablement censée être un autocompliment, mais dont la formulation lui retombe dessus de façon magistrale.
“Les gens téléchargent eux-mêmes ces applications, et pourquoi font-ils ça ? Il doit bien y avoir une raison pour qu’un tiers de la population du monde apprécie ces applications !” Peut-être la même qui pousse un milliard de personnes à consommer du tabac dangereux pour la santé, à tout hasard..? Mais pour le savoir, il faudrait déjà que Facebook joigne la parole aux actes.
Car si l’entreprise a beau parler de transparence à longueur de journée, la communauté scientifique n’a toujours pas accès aux données de Facebook. Certes, on peut tout à fait comprendre que la firme souhaite protéger ses secrets commerciaux; mais le GAFAM ne pourra pas continuer ce double jeu éternellement. Si ces résultats sont aussi inquiétants qu’ils en ont l’air, il est désormais plus que temps d’agir de façon concrète. Et s’il continue d’affirmer que ces résultats ne sont pas si mauvais, il n’y a plus d’excuse pour ne pas être transparent sur ces questions.
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