Dans les régions les plus reculées du Grand Nord, au fin fond du Groenland, se cache un véritable trésor écologique : la “Dernière Zone de Glace” (LIA). Il s’agit d’une étendue durablement gelée, dont les chercheurs ont longtemps pensé qu’elle resterait à jamais prisonnière des glaces. On sait désormais qu’elle est en sursis, et une nouvelle étude est récemment venue souligner l’impact de cette situation sur la biodiversité locale.
Des chercheurs américains et canadiens ont ainsi tenté d’anticiper l’évolution de cette LIA d’ici 2050, dans une vaste étude très documentée. Ils ont simulé deux scénarios distincts. Le premier, assez optimiste, correspond à une situation où des “mesures ambitieuses” et des “moyens considérables” sont mis en œuvre pour lutter contre le réchauffement. Le second, plus pessimiste, imagine que le climat continuera à évoluer à la vitesse actuelle.
Le premier constat inquiétant, c’est que les simulations optimistes et pessimistes présentaient peu ou prou les mêmes conclusions; d’ici 30 ans, la LIA va subir un “amincissement dramatique”, quasiment indépendant de nos efforts pour la préserver. Cela suggère qu’il pourrait être déjà trop tard pour sauver cette structure si importante.
Un désastre pour la biodiversité
Dans le scénario le plus optimiste, un petit peu de glace pourrait encore persister pendant la période estivale. Mais il faudrait pour cela que nous parvenions à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES). Dans le cas contraire, c’est le scénario pessimiste qui prendra le pas. Et dans ce cas, à l’horizon 2100, la glace de la zone pourrait être entièrement fondue pendant la période estivale.
Une situation évidemment catastrophique pour la biodiversité locale. Cela concerne notamment les phoques et le célèbre ours polaire, ambassadeur ô combien photogénique de la crise climatique. “Si les glaces annuelles disparaissent, tous les écosystèmes qui en dépendent vont s’écrouler”, explique Robert Newton, auteur principal de l’étude.
En effet, cette banquise est un élément précieux, qui fournit une contribution essentielle à la richesse de l’écosystème marin. Dans un premier temps, elle fournit un havre de paix à tout un tas d’espèces en les isolant de l’être humain. Elle comporte aussi de nombreuses grottes, crevasses et cavités. Celles-ci servent de refuge aux espèces locales, notamment les ours qui y hibernent et élèvent leurs petits.
Dans les creux de ces glaces pluriannuelles, on trouve des petites microalgues unicellulaires, les diatomées ; elles sont indispensables à bien des égards, et constituent notamment l’une des principales sources d’alimentation pour des tas de petits organismes. Ces derniers sont à la base de l’alimentation des poissons de ces zones. Ces derniers finissent ensuite dans l’assiette des phoques, qui constituent eux-mêmes le festin préféré des ours polaires.
Dollars contre diversité, un duel perdu d’avance ?
Si toute la glace fond pendant l’été, on prive donc ces espèces de leur habitat. Mais surtout, on ampute la chaîne alimentaire directement à la base. Sans glace, pas de diatomées; il n’y a donc pas de quoi nourrir les poissons. Cette pénurie impacte à son tour la population de phoques, et se répercute finalement sur les ours. En l’état, nous nous dirigeons donc vers la fin de la Dernière Zone de Glace telle qu’on la connaît.
Les chercheurs se refusent toutefois au fatalisme, et préfèrent conclure leur papier sur une note optimiste. Ils expliquent que si nous parvenons à faire assez de progrès à court terme, la banquise pourrait survivre tout juste assez longtemps pour que les températures recommencent à baisser. La Dernière Zone de Glace pourrait alors recommencer à se développer.
Pour les chercheurs, cela passera par la mise en place de nombreuses zones de protection partout dans l’Arctique, comme à Tuvaijuittuq . Mais cela implique que les décideurs politiques et grands groupes industriels résistent à la tentation d’aller exploiter les immenses gisements de pétrole et de métaux précieux des zones qui fournissent la glace de la LIA. Et si l’on aimerait sincèrement partager l’optimisme des chercheurs, il y a de vraies chances que la survie de cet écosystème ne pèse pas bien lourd face à des milliards de dollars potentiels…
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