En science des matériaux, les chercheurs sont souvent amenés à travailler avec des composés au comportement curieux. C’est le cas du graphène, un matériau dont nous n’avons toujours pas découvert les innombrables propriétés cachées. Des chercheurs se sont par exemple rendu compte que lorsqu’on superpose plusieurs couches de graphène, et qu’on les fait pivoter les unes par rapport aux autres en suivant un “angle magique” précis, tout un tas de propriétés bizarres apparaît. C’est la base d’un champ de la recherche assez récent, baptisé twistronics, qui nous a déjà offert une avancée remarquable dont nous vous parlions l’année dernière.
Depuis ses débuts timides et très théoriques à la fin des années 2000, cette discipline en herbe a pris du galon avec d’énormes avancées 2017; le graphène multicouche intrigue aujourd’hui de nombreux laboratoires de pointe qui se penchent sur la question de ses applications concrètes. Récemment, c’est une équipe du prestigieux Massachussets Institute of Technology (MIT) qui s’est illustrée avec le nouveau jouet à la mode chez les nano-ingénieurs. Leurs derniers travaux montrent en effet qu’une couche triple de graphène orientée à l’angle magique (nous parlerons désormais de MATTG, pour Magic Angle Twisted Trilayer Graphene) disposait de propriétés supraconductrices… et pas n’importe lesquelles.
En quoi ce supraconducteur est-il différent ?
Les supraconducteurs sont une famille de matériaux, définis par leur capacité à conduire l’électricité sans résistance dans certaines conditions. À l’intérieur, les électrons y voyagent en couple, sous la forme de “Paires de Cooper”. Dans la majorité des supraconducteurs, ces deux électrons ont des spins quantiques opposés. À cause de cette particularité, lorsque le couple est exposé à un fort champ magnétique, les électrons vont “dérailler”; la surface, elle, perd alors ses propriétés supraconductrices.
C’est là que réside la particularité de ce matériau; dans le MATTG, les deux électrons du couple auraient apparemment un spin identique. On parle alors de “spin triplet”. Concrètement, cela signifie que ce matériau est quasiment invulnérable aux champs magnétiques; il conserve toutes ses propriétés jusqu’à 10 Tesla, soit trois fois plus que les supraconducteurs traditionnels .
L’imagerie médicale se frotte les mains
Une particularité rarissime à notre connaissance, qui laisse déjà entrevoir des applications très concrètes aux physiciens du MIT. Par exemple, les machines à IRM utilisées en imagerie médicale pourraient passer un véritable cap avec une telle technologie.
Ces engins fonctionnent grâce à des supraconducteurs placés dans un champ magnétique; ils résonnent avec les tissus pour produire une image. Or, la précision de la machine dépend directement de l’intensité du champ magnétique. En remplaçant les supraconducteurs classiques par des MATTG, une machine à IRM pourrait produire des images de bien meilleure qualité.
La prochaine grande étape de l’informatique quantique ?
Et forcément, comment parler de supraconducteurs sans mentionner l’informatique quantique. Cette découverte pourrait également révolutionner cette discipline “très fragile” par nature, de l’aveu de Pablo Jarillo-Herrero, Professeur de physique au MIT. Il y a une vingtaine d’années, des scientifiques ont proposé plusieurs modèles pour rendre les ordinateurs quantiques infiniment plus fiables et robustes. Mais tout présentent un défaut rédhibitoire : ils se basent sur un type précis de spin triplet, dont l’existence reste théorique n’a jamais été démontrée. Forcément, le fait d’avoir identifié un nouveau spin triplet est donc très excitant : s’agirait-il de la pièce manquante du puzzle, qui pourrait propulser l’informatique quantique à la vitesse supérieure ?
Il est encore trop tôt pour le dire, mais le MIT a déjà lancé les travaux pour vérifier cette hypothèse. Et dans le cas où celle-ci se révélait fausse, il s’agirait tout de même d’une découverte majeure. “Nous ne savons pas s’il s’agit de ce type [de spin triplet]”, concède Jarillo-Herrero. “Mais même si ça n’est pas le cas, cela pourrait faciliter l’application des MATTG à d’autres matériaux, pour reproduire ce type de conductivité. Cela pourrait être une avancée majeure”, conclut le chercheur. Pour une technologie aussi récente, les twistronics n’en finissent plus de nous en mettre plein la vue !
Le papier de recherche est disponible ici.
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On verra dans la décennie si effectivement cela a débouché sur du concret