Europe est l’un des satellites de Jupiter, et le sixième plus gros du système solaire. Elle est connue avant tout pour sa caractéristique la plus remarquable : sa surface presque entièrement recouverte de glace qui a très vite attiré la curiosité des astronomes et chasseurs d’exoplanètes. Il s’agit d’une croûte de glace instable, sujette à une forme de tectonique des plaques, qui recouvre un gigantesque océan. Jusque là, sa composition chimique reste relativement inconnue. Tout juste a-t-on repéré des traces de sels sulfatés à sa surface, grâce à la sonde Galileo. Mais récemment, des scientifiques ont publié dans ScienceAdvance une découverte qui pourrait avoir des implications importantes : ils ont repéré du chlorure de sodium (NaCl, aussi connu sous le nom de sel de table) sur Europe.
Cette découverte a été faite au sein de zones dites “chaotiques”. Dans ces zones, des remontées de matériel chaud de l’océan sous-jacent viennent se mêler aux matériaux de surfaces : elles constituent donc un point d’observation privilégié pour avoir une idée de la composition de cet océan, et de ce qu’il s’y passe.
Identifier des molécules à 800 millions de kilomètres
Cependant, repérer du NaCl à près de 800 millions de kilomètres du Soleil est tout sauf un jeu d’enfant. Pour identifier la composition chimique d’éléments, les scientifiques ont généralement recours à des techniques dite de spectrométrie. La plupart des matériaux, une fois exposés à un rayonnement bien précis, vont absorber ou émettre (selon les conditions) en retour une gamme de rayonnement très particulière, visible sur un graphique appelé “spectre”. En connaissant le rayonnement et certaines données par rapport aux matériaux en question, il est ainsi possible d’identifier des composants.
Or, le NaCl en tant que tel n’a pas de caractéristique spectrale particulière, identifiable à l’aide d’un rayonnement infrarouge. Mais suite à un travail de laboratoire de longue haleine, l’équipe de Samantha Trumbo découvert que la donne change une fois le chlorure de sodium irradié : dans l’éventualité où du NaCl serait présent sur Europe, serait inévitablement irradié par le rayonnement Solaire, et surtout celui de Jupiter. Une fois radioactif, le NaCl a la propriété d’absorber un rayonnement spécifique, à une longueur d’onde de 450 nanomètres : c’est sur cette caractéristique que se sont appuyés les scientifiques. Pour réaliser cette observation en pratique, il a fallu employer les grands moyens. Habituellement, les spectrographes fonctionnent à très courte portée, mais pour cette expérience, le Space Telescope Imaging Spectrograph a été mis à contribution. Il s’agit d’un spectrographe exceptionnellement puissant, monté avec les optiques d’un super-télescope.
Et le résultat est sans appel : on constate bel et bien qu’une plus faible proportion du rayonnement est réfléchie, ce qui signifie qu’une plus grande proportion est absorbée. Grâce à ce pic d’absorption à 450nm, et on peut déduire la présence de NaCl sur Europe !
Pas encore une preuve de son habitabilité potentielle, mais un signe encourageant comme l’explique Samantha Trumbo :
Cette découverte n’est pas un argument direct en faveur de l’habitabilité potentielle d’Europe. Par contre, si le NaCl de surface est représentatif de la composition de l’océan, alors ces eaux pourraient bien être bien plus similaires à celles de la Terre que ce que l’on pensait – potentiellement un signe encourageant en faveur de son habitabilité
Grâce au télescope Hubble, l’équipe de recherche a pu cartographier ces régions salines et a découvert qu’elles se concentraient surtout dans les jeunes zones chaotique. Des résultats là encore encourageants qui pourraient ouvrir des portes, mais demandent encore de nombreuses confirmations :
[Nous sommes] confiants que ce sel provient bien de l’intérieur de l’océan. Mais on ne peut pas encore affirmer avec certitude que sa présence à la surface implique une chimie océanique basée sur le NaCl, parce qu’on ne sait pas encore comment sont liées les compositions de la surface et de l’océan, même dans ces zones chaotiques
Encore une décennie de patience pour aller vérifier
Fran Bagenal, professeur d’astrophysique et de planétologie à l’Université du Colorado, explique dans un mail à Gizmodo qu’il s’agit d’un “nouvel élément de preuve que l’océan d’Europe pourrait être très intéressant, en termes astrobiologiques”.
On n’en saura certainement pas plus avant un certain temps. Les prochaines avancées devraient arriver avec l’entrée en scène de Clipper, en 2020. Ce satellite survolera plusieurs fois Europe, et en profitera pour réaliser tout un tas de mesures. Parmi ses objectifs principaux : identifier ces masses brunâtres qui semblent émerger de l’océan à travers des fissures, mesurer les courants océaniques et magnétiques et estimer l’épaisseur de la couche de glace. Un programme de longue haleine, qui ne devrait pas porter ses fruits avant début 2030. A ce stade, les informations disponibles seront probablement suffisantes pour envoyer un engin capable de se poser sur Europe pour effectuer des analyses directes, et ainsi répondre à bon nombre de questions encore en suspens.
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