Journal du Geek : Qu’est-ce qu’un méchant réussi ?
Dobbs : Un méchant réussi, c’est un personnage dont on va se souvenir. Est-ce qu’il est pathétique ? Est-ce qu’il est vicieux ? Peu importe, il doit rester en mémoire pendant un certain temps.
Peut-on parler de charisme, du coup ?
Oui. C’est un charisme qui peut être mis en relief par la cinématographie, par la patte du réalisateur ou par le charisme de l’acteur lui-même. S’il porte un masque, ça peut poser souci, mais ça peut être sa voix. Quand tu regardes toutes les voix de James Earl Jones, c’est une voix grave, puissante. De Thulsa Doom à Dark Vador, wouah ! Ça peut donc être un charisme sonore, visuel, ou alors la manière de bouger. Pour rebondir sur Dark Vador par exemple, c’est multiple, c’est une mosaïque. La tête, le physique athlétique, la voix trafiquée de James Earl Jones… C’est aussi un mélange de sorcier maléfique de la fantasy et de guerrier sombre des films japonais de Kurosawa.
Est-ce que un méchant peut vivre par lui-même ou a-t-il a nécessairement besoin d’un univers cohérent et d’un héros crédible à ses côtés ?
Il y a cette histoire d’opposition. Le héros est souvent réussi parce que le méchant est réussi. Si on a un déséquilibre, le spectateur va prendre fait et cause pour l’un ou l’autre. Si c’est hyper manichéen et hyper stéréotypé, ce sera pour le gentil. Si c’est ambigu, un peu plus travaillé, on va se poser des questions et peut-être que cette ambiguïté va faire pencher la balance du côté du méchant.
Il faut être honnête, le spectateur va chercher des émotions, et il arrive que le héros ne satisfasse pas complètement le spectateur. On a lâché le côté trop manichéen des années 30-40.
Tu en parles d’ailleurs, dans ton ouvrage, de cette évolution.
Les années 80-90 marquent un nouvel Hollywood avec Spielberg, Lucas et les autres… c’est le retour du film de studio. Sauf qu’on a donné les clés à des geeks, qui auparavant réalisaient des œuvres de genre. C’est Les dents de la mer, c’est Star Wars… Là, on revient à du film de divertissement qui a des moyens colossaux mais aussi à un certain manichéisme. L’entre-deux, c’est-à-dire les années 60-70, c’est cet Hollywood un peu atypique, après Easy Rider. C’est ici qu’on a commencé à découvrir des personnages plus ambigus, borderline. C’est ça qui est intéressant. Quand on regarde un personnage comme Travis dans Taxi Driver, c’est juste un vigilant borderline stalker, obsédé, qui va voir du porno, qui a des pulsions meurtrières et qui a envie de nettoyer la racaille des rues. On n’est pas très loin des vigilants dans Un justicier dans la ville. Le Punisher n’est pas loin non plus… Ou Rorschach des Watchmen.
Question méthodologie. Comment tu t’y es pris pour lister tous les méchants ?
Je me suis concentré sur les personnalités, donc on a mis de côté les films d’horreur sur les chiens, les insectes, les films où l’antagoniste n’est pas défini. On a choisi plutôt les personnalités. Du coup, Cujo par exemple, on s’en fiche un peu. C’est juste un chien qui se fait boulotter par une chauve-souris et qui se met à tuer tout le monde.
Peux-tu nous parler de la figure de la méchante ? Comment elle a évolué ?
Tous les méchants correspondent un peu à leur période, donc il y a toujours des évolutions. Combien de films ont pour thème la sorcellerie, maintenant ? C’était le boom dans les années 90, et c’est la même chose pour les séries télé. Les stéréotypes des clans de sorcière, les cheveux, les rituels… tout ça a évolué. Si on regarde bien Dangereuses Alliances, c’était la mode des gothiques, donc on met une loligoth, c’est le reflet d’une époque. Quand les adaptations ciné d’Harry Potter débarquent, c’est parce qu’il y a un succès en librairie monstrueux ; cette école de sorcier renvoie aussi à l’apprentissage de la sorcellerie et du principe du passage de l’adolescence à autre chose. Ce sont des strates qui se mettent en place les unes sur les autres.
Est-ce qu’on peut encore être étonné par un nouveau méchant ?
Ça dépend. Est-ce que le but du film c’est juste divertir ? Parce que là on va plutôt s’orienter, surtout pour les films de super héros, vers un méchant attendu, logique. Parce que le super héros fonctionne généralement avec un prisme opposé. Batman n’est rien sans le Joker donc l’intérêt, c’est que ça devienne un gimmick. Batman est une figure héroïque ambiguë qui traine sur des décennies, donc on a eu besoin de Joker variés. Le Joker en animé doublé par Mark Hamill est extraordinaire. Quand on regarde The Dark Knight, on avait un Joker qui était différent, et qui est resté dans les annales pour plein de raisons, évidemment. Heath Ledger a tout donné.
Kilo Ren de Star Wars : Le Retour de la Force est un nouveau méchant intéressant. Il est juste tragique et pathétique. C’est un adolescent en recherche. Ils ont trouvé un très bon acteur pour lui (NDLR : Adam Driver), qui joue juste magnifiquement bien. C’est un bon ado en crise et ça marche bien, il est manipulé, il ne sait pas où va son cœur.
Un méchant préféré ?
Je ne peux pas répondre (rires).
Un qui t’a marqué alors !
Il y en a plein qui m’ont marqué ! Hannibal Lecter parce que j’ai adoré le Dragon Rouge et le Silence des Agneaux en livre.
Méchants, les grandes figures du mal au cinéma et dans la pop culture, 320 pages, aux éditions Hachette Heroes, 35 euros
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