L’air est toujours juvénile, seulement rendu sérieux par ses éternelles lunettes, la voix n’a pas changé, le ton est toujours calme et posé. Chaque mot est réfléchi. Lorsque nous découvrons Edward Snowden, il semble être le même jeune homme que nous avons découvert dans l’anonymat d’une chambre d’hôtel hongkongais alors qu’il venait de fuir les États-Unis, les secrets inavouables de la NSA pour tout bagage. 4 ans plus tard, le voici réfugié en Russie depuis 4 ans. Si sa liberté de mouvement est relative, sa parole est libre.
Lorsque Flore vasseur décide de réunir Edward Snowden, Larry Lessig et Birgitta Jónsdóttir à Moscou en décembre 2016, Donald Trump est le nouveau président élu, Poutine est au centre de l’échiquier international grâce au conflit syrien et les relations entre les deux pays sont « illisibles ». À ce moment-là, l’asile accordé par la Russie à l’ancien analyste de la NSA s’achève en avril 2017. Il sera finalement renouvelé jusqu’en 2020.
Comment sauver la démocratie avec Trump et Poutine en cavaliers de l’ordre mondial ?
Ces trois activistes vont se retrouver dans une chambre d’hôtel pour débattre autour de cette question cruciale : comment sauver la démocratie ?
Nous avons posé quelques questions à Flore Vasseur
1— Beaucoup de choses ont déjà été dites sur Edward Snowden, il intervient dans divers événements et conférences. Un documentaire est sorti (Citizenfour de Laura Poitras), suivi d’un film (Snowden, d’Oliver Stone), que vouliez-vous raconter dans Meeting Snowden qui n’a pas déjà été dit ?
Flore Vasseur : Je suis extrêmement respectueuse de tout le travail qui a été fait jusqu’à présent sur lui et qui, finalement, s’intéresse beaucoup plus à son acte de désobéissance civique, à son coming out en tant que lanceur d’alerte. Je travaille depuis des années sur la question de la démocratie, plus exactement sur qui gouverne, en partant du principe que les rouages démocratiques ne fonctionnent plus.
J’avais l’intuition qu’Edward Snowden avait quelque chose d’extrêmement fort à nous dire sur ce sujet pour avoir été lui-même sur la ligne de front. Un point de vue pas tout à fait révélé. Surtout, je n’avais vraiment pas envie de lui poser les questions auxquelles il répond déjà très favorablement.
Aller à Moscou pour faire quelque chose que d’autres ont fait ne m’intéressait pas. Edward Snowden est quelqu’un d’absolument incroyable, mais il n’est pas le seul. Aujourd’hui, il y a énormément de gens qui se bougent, qui agissent et qui essaient de nous dire les choses sur ce qui est en train de se passer, mais ils ne sont pas entendus. Mon envie était de réunir ces trois personnes avec des combats et des dénominateurs communs, dont celui de s’interroger sur « comment sauver la démocratie ? »
Pour l’instant, cette discussion n’a lieu nulle part dans les médias, ni même entre eux. Je voulais laisser parler le « citizen » dans « citizenfour », le citoyen Snowden. il a fait un acte éminemment politique dont le thème est la surveillance de masse, mais dont l’ampleur et la signification sont la démocratie.
2— Vous n’intervenez quasiment jamais dans le film, vous laissez la caméra tourner, la rencontre se faire, la conversation se dérouler simplement, c’est un choix cette absence, cette neutralité ?
F.V. : Absolument. J’ai posé le cadre pour une conversation qui me parait vitale. Ces trois personnes, pas seulement Snowden, ont des choses à nous dire. Ces trois personnes sont allées sur la ligne de front. Ces trois personnes ont quelque chose d’exceptionnel, mais sont trop seules, trop isolées. En fait, elles sont à l’image d’un tas de gens qui, partout dans le monde, font des choses, mais sont trop seuls et isolés.
Pour moi ce sont les figures les plus avancées d’un mouvement mondial. Je n’avais aucune envie d’intervenir puis j’avais une confiance absolue dans le fait qu’ils auraient des choses à se dire. C’était un pari.
C’est une position un peu éthique, mais je pense qu’en ce moment, notre rôle à tous, journalistes, mais surtout citoyens, c’est de rendre possible ces conversations plutôt que de relayer des messages qui de toute façon sont manipulés ou téléguidés par des intérêts.
Je connais bien Larry Lessig, le travail et les idées de Birgitta Jónsdóttir, j’étais confiante dans l’idée que quelque chose d’assez formidable allait en sortir. Finalement, la conversation ce n’est que 20 minutes du film, il y a un avant et un après.
3— Cette rencontre a-t-elle été facile à organiser. On pense notamment à Edward Snowden qui est tout de même paranoïaque, pour de bonnes raisons ?
F.V. : Honnêtement, je ne saurais pas bien vous répondre, car, pour une raison que je ne connais pas, il a accepté le principe de cette rencontre. Ça lui appartient, je ne sais pas pourquoi. Une fois qu’il y a cet accord, c’est très facile. Dans le sens où, c’est très facile pour une personne comme moi de prendre un billet pour la Russie et d’avoir un visa. Je n’ai eu aucun problème. Aucun.
La barrière, à l’entrée, elle n’est pas sur la mise en œuvre d’un tournage comme celui-là. Après, il est vrai qu’avant de partir, j’étais moins confiante qu’il y parait aujourd’hui. Maintenant que le film est fait, avec le recul, tout a été très fluide à partir du moment où l’on a eu son accord. Mais je comprends que cet accord est très difficile à avoir. Ma difficulté depuis 10 ans n’est pas d’aller voir Snowden, elle est plus dans le fait de convaincre les médias de parler de lui et de ces sujets-là.
4— Avez-vous constaté un regain d’intérêt pour ces sujets-là ? Peut-être depuis 2013 et les révélations d’Edward Snowden justement…
F.V. : Oui. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Il y a quelques années, lorsque vous évoquiez ces sujets, vous étiez taxée de complotiste, d’anarchiste ou de naïve. On me rétorquait, : « C’est mignon tout ça », mais il y avait un cynisme absolu autour de ces questions. Je perçois une sorte de sidération en ce moment, ou du moins de prise de conscience que ces sujets ne sont pas si anecdotiques que ça. Travailler sur des enjeux qui ne sont pas populaires, dans le temps court, l’urgentissime ou l’obscénité de l’audimat, peut être quelque chose de bon.
L’air du temps est à la prise de conscience : on réfléchit mal et peu depuis longtemps. Je ne dis pas que Larry, Snowden et Brigitta sont la solution, mais ils font partie de ces sujets qui se sont affranchis de ça depuis un long moment. Ils n’ont pas pour autant gagné, nous avons tout de même Trump au pouvoir, mais tout cela est une question de croyance. Si les lecteurs commencent à s’intéresser à ces choses là, le changement sera énorme. Je pense qu’Edward participe à cela en choisissant les médias auprès de qui il s’exprime.
J’ai l’impression que ça bouge dans le bon sens, mais ça pourrait s’inverser du jour au lendemain. Il suffit de voir comment cela se passe dans les autres pays : en Turquie on emprisonne les journalistes (le photographe français Mathias Depardon, arrêté le 8 mai dernier a été libéré ce 9 juin), à Hong Kong on fait disparaitre les éditeurs, aux États-Unis, la liberté de la presse est remise en cause avec Trump, et en France on continue de dégringoler dans le classement RSF sur la liberté d’expression. Je ne suis pas naïve, mais la guerre s’intensifie et le message devient plus affuté de l’autre côté. Personne ne fait le lien avec tous ces mouvements populaires qui jaillissent à travers le monde et que j’évoque à la fin du film. Les médias ne leur donnent pas de crédit. Après, c’est peut-être aussi un problème de lecteurs. La médiocrité est organisée, mais elle est également consentie.
Meeting Snowden, les 10 et 15 juin sur Arte à 23h35
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Snowden, le seul homme déclaré <>
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