“La neutralité du net est un principe fondateur d’Internet, qui exige que les opérateurs restent neutres face aux communications, qu’ils ont donc le devoir de transporter sans privilégier les unes par rapport aux autres. Il suppose un traitement non discriminatoire de toutes les informations circulant sur la toile, depuis les fournisseurs de contenus jusqu’aux utilisateurs.
Ce concept de base, formulé pour la première fois aux débuts des années 2000 par le juriste américain Tim Wu, vise à garantir aux internautes un accès libre aux sites ou aux services de leur choix. Réciproquement, il assure aux plateformes d’avoir accès aux utilisateurs, dans les mêmes conditions que leurs homologues.
Non discrimination des données
Le principe, d’abord technique, offre en conséquence aux internautes la possibilité de publier toutes les informations qu’ils souhaitent, via ces mêmes plateformes, ou en créant leurs propres blogs ou sites internet. Quel que soit le contenu (sites web, vidéo, musique, etc.), toutes les données sont tenues d’être acheminées à la même vitesse et transmises de la même façon aux utilisateurs via les FAI (fournisseurs d’accès à Internet), sans restriction qualitative, sans discrimination des différents acteurs, et sans regard critique à l’égard des contenus.
En somme, la neutralité du net assure le respect de la liberté de communication. Elle garantit l’exercice d’une liberté fondamentale que seuls le législateur et la justice peuvent venir restreindre.
L’enjeu principal réside donc dans l’assurance que ces mêmes FAI dont les tuyaux sont empruntés pour les échanges de flux n’y favorisent pas l’accès à certains fournisseurs ou contenus, ni ne brident le trafic ou le débit exigé par certains services, au détriment de certains autres. Or le problème est qu’en Europe, comme ailleurs, les entorses à la règle sont légion.
Opérateurs Vs SVOD
Aux États-Unis, le service de VOD Netflix a fini par accepter de conclure un marché avec l’opérateur Comcast, afin de lever les freins imposés à ses clients, cédant ainsi à une pression commerciale imposée par le FAI. Ce conflit, à l’époque très critiqué pour son manque de transparence, rappelle le bras de fer engagé en France entre Free et YouTube, dont le débit a longtemps semblé bridé pour les abonnés de l’opérateur.
Ce genre d’oppositions entre fournisseurs de contenus et opérateurs sont désormais monnaie courante, et mènent souvent vers des partenariats, imposés ou non. C’est notamment le cas de la pratique controversée du « zero rating », qui consiste à ne pas décompter des forfaits de communication la data de certains services ou applications consommateurs en bande passante (tels que Deezer, Spotify, Netflix, etc.). À première vue, l’utilisateur a l’impression d’être gagnant, car il peut profiter d’un service sans ponctionner son volume de données autorisé chaque mois. Mais en réalité, ce système désavantage les services concurrents et viole les règles de la neutralité.
Facebook pourfendeur de la neutralité du net ?
On pourra également citer l’exemple du programme Free Basics de Facebook, qui à l’issue d’accords financiers avec des acteurs des télécommunications, envisage l’accès gratuit à un nombre réduit de services (pour la plupart les partenaires de Facebook) destinés aux habitants d’une quarantaine de pays émergents victimes de « la fracture numérique ». En filigrane, ceci permettrait d’augmenter considérablement le nombre d’utilisateurs du média social, tout en les privant de l’incroyable richesse que propose le réseau mondial. Une opération contraire aux principes des fondements d’Internet, c’est-à-dire un réseau où chaque utilisateur a accès à toutes les connaissances disponibles, dans des conditions techniques égales pour tous.
Évidemment, cette gratuité affichée a un prix ; celui qu’une entreprise puisse déterminer le comportement des internautes.
Le risque de taille : amener peu à peu les utilisateurs vers un Internet à deux vitesses, favorisant les entreprises qui auront les moyens financiers de se mettre en avant et en pénalisant les structures plus modestes, mais surtout au final, priver les utilisateurs de choisir librement leurs services.
Il est donc nécessaire qu’un cadre législatif protecteur soit clairement édicté par les instances gouvernantes. On ne peut que saluer l’avancée récemment effectuée par le Berec (groupement des régulateurs télécoms de l’Union Européenne) qui, à travers ses directives très restrictives pour les opérateurs, affiche clairement la volonté de garantir la neutralité d’Internet.
Prise de conscience et cadre législatif nécessaires
Même si certains points restent encore à éclaircir, ces nouvelles règles entérinent une consultation qui a massivement mobilisé les acteurs concernés (défenseurs de la neutralité d’un côté, opérateurs de l’autre) ; avec plus de 500.000 contributions en moins de deux mois, cela prouve que les enjeux sont considérables. Il est aujourd’hui d’une importance cruciale d’en prendre conscience, si nous voulons maintenir l’émergence de nouvelles entreprises et de start-ups pouvant concurrencer les principaux acteurs de la toile, et ainsi assurer la diversité par laquelle naît l’innovation.
Chez Qwant, nous sommes en effet convaincus que l’innovation numérique exige ce principe de neutralité du Net, car il est la seule garantie d’un Internet libre et ouvert, et donc l’assurance qu’Internet est et doit rester un bien commun. Notre moteur de recherche défend cette notion essentielle depuis ses débuts, parmi d’autres valeurs fondamentales.”
Eric Léandri Président, co-fondateur de Qwant
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