Fruit d’une bataille intense et de négociations de plusieurs années autour de la création d’un marché unique des télécommunications, la réglementation sur les télécoms a été votée ce mardi 27 octobre.
Si les partisans d’un internet libre et d’une neutralité du net consacrée strictement ont pu crier victoire lors de son premier vote au Parlement en avril 2014, celle-ci a aujourd’hui un gout amer.
En cause ? Les sempiternels va-et-vient qui entourent la rédaction et le vote d’un texte, renforcé par les uns, amendé par les autres, au gré des arrangements et négociations entre les principaux organes législatifs de l’Union européenne.
En l’occurrence, le texte voté ce jour est le fruit d’un compromis entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne. Un compromis qui semble s’être fait aux dépens de la neutralité du net.
Les partisans du principe et les défenseurs des libertés numériques, regroupés autour du projet SaveTheInternet, dont font partie la Quadrature du Net et l’Electronic Frontier Fondation, dénonçaient déjà la version édulcorée du texte, après son passage par le Conseil de l’Union européenne en mars dernier. La neutralité du Net était consacrée non sans être assortie d’exceptions. Ce qui revient à valider le principe sur la forme, mais le nier sur le fond.
En effet, le texte final fait l’impasse sur une consécration stricte de la neutralité du Net, à l’image de celle mise en place aux États-Unis, pour lui préférer la notion « d’internet ouvert ».
« Les fournisseurs de services d’accès à l’internet traitent tout le trafic de façon égale et sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés » ,précise le texte.
Pour rappel, la neutralité du Net (ou neutralité du réseau) est un principe qui garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet, sans discrimination aucune (de source, technique ou contenu). Ainsi, les FAI ne peuvent bloquer ou ralentir quelque contenu que ce soit ou proposer une « voie rapide » à d’autres contre rémunération. Toutes les données transitant sur le réseau ont la même priorité : mail, vidéo YouTube, sauvegarde cloud, etc.
Plusieurs amendements avaient donc été déposés afin de renforcer le principe et ne pas se contenter d’une adoption à minima. Las, l’ensemble des amendements présentés a été rejeté par le Parlement européen et le texte adopté. La fin du roaming est donc bien entérinée pour juin 2017 (initialement prévue pour le 15 décembre 2015, avant la levée de boucliers des opérateurs télécoms face au peu de temps “d’adaptation“) et le principe de la neutralité du Net acté.
Cependant, le trop grand nombre d’exceptions prévu au principe fait craindre des largesses accordées aux grandes entreprises et opérateurs télécoms.
En effet, les FAI ont la possibilité « de proposer [aux opérateurs] des services spécialisés de qualité supérieure, tels que la télévision par internet, ainsi que de nouvelles applications innovantes, pour autant que ces services ne soient pas fournis au détriment de la qualité de l’internet ouvert. »
Ouvert, « sauf en cas d’exceptions d’intérêt général strictement encadrées et clairement définies ».
Une « faille » dans laquelle ne vont pas manquer de s’engouffrer les FAI, estime Timothy John Berners-Lee, principal inventeur du World Wide Web (WWW).
« Si elles sont adoptées en l’état, ces règles menaceront l’innovation, la liberté d’expression et la vie privée et compromettront la capacité de l’Europe à être un leader de l’économie numérique », prévient-il dans un billet de blog.
Il pointe notamment, l’autorisation du « zero-rating », qui permet aux opérateurs de ne pas décompter du forfait data d’un client l’utilisation de certains services spécifiques (app partenaires par exemple), même gourmands en données. Pratiqué un temps par SFR avec YouTube et Orange avec Deezer en illimité.
« La directive permet aux FAI de définir des catégories de services et de ralentir ou accélérer le trafic au sein de ces catégories. En plus de nuire à la concurrence, cela décourage aussi le cryptage des données : de nombreux FAI regroupent tous les services cryptés dans la même catégorie et la ralentissent », tance ainsi Berners-Lee.
Le bureau européen des Unions de Consommateurs (BEUC) constate des « lacunes » : « Par exemple, les fournisseurs d’accès à Internet peuvent toujours exempter les géants du Net comme Facebook, Netflix ou YouTube des forfaits de données. En d’autres termes, le contenu de certaines entreprises resterait accessible aux consommateurs, même s’ils ont épuisé leur forfait de données. Les start-ups et services innovants risquent de se retrouver au ban du marché, ce qui limite la concurrence et réduit le choix des consommateurs. Il est maintenant du ressort des autorités nationales de réglementer ces pratiques discriminantes. »
Une autre pratique n’est pas explicitement interdite, laissant libre court à toutes les interprétations, la gestion du trafic, ou « gestion raisonnable du réseau », est laissée aux FAI en cas d’encombrement « imminent », lors de cyberattaques notamment. Libre à eux de déterminer s’il y a péril en la demeure , c’est-à-dire s’il existe des « exigences techniques de qualités de service objectivement différentes de catégories spécifiques de trafic ».
Elles devront être « transparentes, non discriminatoires, proportionnées » et ne pas être appliquées à des fins commerciales.
Si le texte déçoit par le peu de garanties qu’il offre et les notions trop floues qu’il introduit, la Commission européenne se satisfait de l’adoption de ce texte après des années de négociation. Un temps d’attente qui semble avoir eu raison des amendements déposés, qui auraient alors signifié un autre va-et-vient du texte entre les différentes institutions européennes. Mais aussi un report d’un autre projet de la Commission européenne : le marché unique du numérique européen dont les mesures doivent être mises en place fin 2016.
Au programme : réforme du droit d’auteur, 4G, lutte contre le piratage, régulation des plateformes internet des GAFA, accessibilité, portabilité et geoblocking.
Pour les partisans du texte, mieux vaut un texte adopté que pas de texte du tout consacrant la neutralité du net (ou plutôt un « internet ouvert »). L’intense lobbying des opérateurs télécoms semble également avoir porté ses fruits, puisqu’ils semblent avoir gagné sur la neutralité du Net, ce qu’ils ont perdu avec la fin des frais d’itinérance.
Les prochains mois nous renseignerons sur son application dans les différents États membres.
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C’est pas plutôt Tim et non John Berners-Lee !!!
Ce commentaire ressemble à une question mais sans point d’interrogation et avec plein de méchants points d’exclamation. Si on est tatillons c’est Timothy John Berners-Lee.
Sinon il fallait se douter de l’issue…
Le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne, cela fait une sacré machine à brasser du vent.
En effet, malgré des textes au flou savamment entretenu, “la Commission européenne se satisfait de l’adoption de ce texte après des années de négociation”
Oui, on fait semblant de légiférer, mais avec tellement d’exceptions ou de contorsions que finalement tout le monde va continuer de faire ce qui l’arrange, les lobbies ont une fois de plus gagné.
Si c’est pour toujours leur accorder ca qu’il demandent (les lobbies) ce n’est pas la peine d’entretenir cette coûteuse machine à brasser de l’air et d’engraisser ces députés qui y siègent.
“le texte déçoit par son manque d’envergure.”…à l’image du parlement européen, en quelques sortes..!
L’UE c’est la joie des lobbys. Des assemblés peu couverts par les médias, un manque d’intérêts du publique et surtout une préoccupation du pays avant l’UE par les citoyens.
Quand on sait que l’UE était au courant du scandale de VW depuis 2013, on voit très bien que les préoccupations de l’UE sont les groupes industrielles et les banques.
Merci Elodie pour ce bel article !