En réaction à une question posée en novembre 2013 par le député socialiste Alain Rodet, la ministre de la Culture et de la Communication vient seulement d’apporter une réponse en choisissant d’accabler le marché de l’occasion en le liant carrément au téléchargement illégal.
« Le développement considérable du marché de l’occasion et du téléchargement illégal dans le secteur du jeu vidéo a conduit l’industrie à prendre des mesures garantissant une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle. Dans le cadre de la lutte contre le piratage, et considérant que l’activité de revente de jeux physiques et du pluri-téléchargement des jeux en ligne est préjudiciable au développement de l’industrie et contrevient aux droits des éditeurs, les pouvoirs publics soutiennent ces initiatives. »
La question du député, membre de la commission des finances, ne porte pourtant pas principalement sur le marché de l’occasion, mais plutôt sur les conditions contraignantes de l’utilisation des jeux dématérialisés. Pourtant, de son côté, la ministre met en avant les bons résultats des plateformes de téléchargement dans le cadre de la lutte contre le piratage.
« Après plusieurs années de mise en oeuvre, force est de constater que ces mesures ont effectivement permis de changer les habitudes des consommateurs et de faire baisser considérablement le niveau de piratage des jeux vidéo. »
Évidemment, il y a un certain raccourci qui est pris par la ministre. Car s’il est certain que les plateformes comme GoG ou Steam ont bien changé les habitudes des consommateurs qui acceptent volontiers de ne pas réellement « posséder » les jeux qu’ils achètent, il y a fort à parier que les tarifs qui y sont pratiqués, extrêmement avantageux par rapport aux circuits classiques de distribution, ont joué un rôle important dans la baisse des téléchargements illégaux évoquée par la ministre.
À l’instar du marché de la musique, le seul vrai moyen de faire baisser le piratage des jeux est de proposer une véritable offre légale et intéressante pour le consommateur. En somme, rendre le piratage moins intéressant que l’offre légale. C’est d’ailleurs ce qui a fait le succès de plateformes comme Spotify ou Deezer.
C’est la même chose dans le marché du jeu vidéo. Toutes les mesures posant des DRM ont davantage porté préjudice aux utilisateurs légitimes que réellement contré les pirates qui trouveront, de toute façon, des parades. L’exemple le plus flagrant est très certainement Sim City dont les versions piratées et modifiées proposaient plus de fonctionnalité que la version officielle, bourrée de DRM.
L’industrie est déjà en train de passer du bâton à la carotte
Cette volonté de détourner le consommateur du piratage avec l’incitation plutôt qu’avec la restriction est d’ailleurs le parti pris d’un nombre croissant d’acteurs de la vente en dématérialisé depuis déjà plusieurs années. GoG, par exemple, en plus de proposer ses jeux sans aucun DRM, met en avant la justesse de ses prix en ne pratiquant pas le fameux 1 $ = 1 € (même si le taux de change commence à se rééquilibrer). Son service après-vente garantit quant à lui la fonctionnalité du jeu sur la machine de l’acheteur, quitte à rembourser si aucune solution ne peut être trouvée.
Malgré son utilisation historique des DRM, Steam n’est pas non plus en reste avec la mise en place récente d’une procédure standardisée de remboursement et le partage autorisé de la bibliothèque au sein d’un même foyer. De plus, ses tarifs extrêmement compétitifs et l’ergonomie générale du service (sauvegardes dans le cloud, mises à jour centralisées) compensent largement les quelques contraintes liées au DRM.
Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples comme la plateforme Humble Bundle, qui, dans la mesure du possible, essaye d’épargner les DRM à ses utilisateurs. Quant au PSN et au Xbox Live, ils offrent très régulièrement des jeux dans le cadre de leurs offres payantes PS+ et Xbox Live Gold. Or, il est bien plus facile de supporter un DRM sur un jeu gratuit (ou très peu cher) que sur un jeu payé 60 euros à la FNAC.
Dans ce marché complexe, tous les plus grands acteurs ont compris que leur intérêt se trouvait dans la qualité de leur service et pas dans la quantité de DRM qu’ils seront capables d’intégrer dans leurs jeux. Sur cette question, Fleur Pellerin a malheureusement un train de retard, car la tendance concernant les DRM est d’ores et déjà en train de changer, même au sein des développeurs. Les développeurs de Cities: Skylines, le succès-surprise du city builder de cette année ont ainsi eu une réflexion toute simple pour éviter le piratage : proposer un très bon jeu, sans DRM, dont le contenu, gratuit, arriverait régulièrement.
As usual our plan for pirates is to make a great game even better through free updates – making it more convenient to use Steam instead.
— Shams Jorjani (@ShamsJorjani) 12 Mars 2015
Résultat, plus d’un million de jeux vendus un mois seulement après sa sortie et un capital sympathie très fort assurant un bel avenir à la licence. Il y a peut-être une leçon intéressante à tirer ici, Madame la Ministre. Il est encore temps de monter dans le bon train.
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