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[Chronique] Le space opera : la tête (de nouveau) dans les étoiles

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Un nouveau big bang se trame dans notre cosmos. Eve Online qui fête ses 10 bougies, Homeworld qui ressort des limbes, le beau succès d’Out There,…

Un nouveau big bang se trame dans notre cosmos. Eve Online qui fête ses 10 bougies, Homeworld qui ressort des limbes, le beau succès d’Out There, la relance spectaculaire d’Elite, les attentes extatiques autour de Star Citizen, Eve Valkyrie ou encore No Man’s Sky, par leur promesse(s) immersive(s) d’un nouveau genre.

Si l’on ajoute les succès parallèles en salle de Gravity, Interstellar, et l’attente planétaire autour de Star Wars VII, tout pousse à y croire dur comme fer : le space opera connaîtrait-il son grand retour en grâce ? Quelque peu moribond depuis le début des années 2000, le genre a vu se multiplier tellement de projets, AAA comme indés, qu’il cristallise l’espoir d’un nouvel Eldorado. Il n’y a qu’à considérer le cas Star Citizen, parti d’une campagne participative de 2 millions de $ pour atteindre en 3 ans le statut de chantier pharaonique à plus de 75 millions, pour se convaincre que les étoiles se remettent à briller sur les écrans. Mais, au delà de l’aura, voire du culte, de certains de ses auteurs (Dave Braben pour Elite, Chris Roberts pour Star Citizen), qu’est-ce qui peut bien motiver un tel engouement ?

Out There : Omega

Vieux comme Hérode

Le space opera n’est pourtant pas né de la dernière pluie de météorite. Comme l’atteste FibreTigre, cocréateur et scénariste d’Out There : “On est plutôt dans une conjonction de phénomènes qui n’ont rien à voir. Le “jeu spatial” et le jeu d’exploration ont toujours été présents depuis les années 80. S’il y a une multiplication soudaine de même jeux du genre, c’est surtout dû à des cycles incompressibles de création et de marchés.”De techniques, aussi. Avec l’évolution des configurations graphiques, plus évoluées et plus accessibles, le genre spatial dispose aujourd’hui de moyens plus confortables pour magnifier les splendeurs picturales de ses galaxies. Moyens qu’il couple d’ailleurs avec un de ses plus vieux atouts : la génération procédurale qui permet, à partir de matrices algorithmiques, de multiplier en masse les univers visitables, puis en varier quelques détails, pour donner l’illusion d’une exhaustivité, voire une certaine idée de l’infini.Qu’est-ce que No Man’s Sky, après tout, si ce n’est autre qu’une optimisation, en plus sexy, de l’héritage laissé par Noctis ou l’Arche du Captain Blood ?

Cet art duel de la cosmétique et du procédural, Elite Dangerous l’a bien compris. En redonnant nouvelle forme et nouvelle vigueur à sa licence vieille de 20 ans, Dave Braben a aussi rénové sa machine à fantasmer. Pour réussir à attirer plus de 2 millions d’€ en crowdfunding (35 fois moins qu’un certain Star Citizen, ceci dit), il fallait au moins capitaliser sur une promesse ubuesque : celle de 400 milliards de systèmes solaires à modéliser pour l’occasion. Un chiffre marqué par la démesure, mais qui se réclame pourtant d’une base universelle, celle de notre propre galaxie. Contacté par nos soins, Adam Woods, producteur sur Elite Dangerous, décrit le résultat comme une expérimentation ludique, mais avant tout crédible, du voyage spatial : “ On voulait recréer la Voie Lactée à l’échelle 1:1, avec la plus grande fidélité possible. On s’est servi de toutes les données établies par la communauté scientifique, pour ensuite les intégrer à notre algorithme maison de génération procédurale, qui a brodé le reste de l’univers selon sa logique. On reste dans un jeu SF mais qui garde le cap de donner l’illusion au joueur de visiter un univers “proche” de lui, qui l’a fait naître, et l’englobe au quotidien». Au-delà de son contenu gargantuesque, Elite Dangerous a surtout la bonne idée de fignoler son emballage au pixel près. Qu’il s’agisse de n’importe quel panorama, des phases de saut en vitesse hyperluminique, ou un simple appontage sur une station, chaque jalon du vocabulaire spatial (étoiles filantes, géante gazeuses, spatioport champs d’astéroïdes…) est pensé, et vécu, comme une expérience marquante, un grand bain de sensations mémorable qui s’accorde admirablement aux nouveaux possibles immersifs des supports visuels modernes, Oculus Rift en tête.

Elite Dangerous

L’espace, une performance visuelle inéluctable? Pas forcément. Si l’on pense à l’excellent Out There de Michaël Peiffert et FibreTigre, le jeu vidéo peut aussi inviter à l’odyssée spatiale sans les moyens d’un barnum, mais au contraire par une logique de d’imagination et de suggestivité. Un art de l’économie qui part bien sûr d’une réalité pragmatique : “ On avait clairement pas de budget, confirme FibreTigre. Ca nous a forcé à sublimer le minimum que nous avions, avec les moyens du bord, comme notre héros. Une production avec beaucoup d’argent ne fait pas recours au texte, ou à titre exceptionnel, comme Lost Odyssey par exemple, pour poser une ambiance.” Résultat : un voyage minimaliste, pensé comme un Livre dont vous êtes le cosmonaute, fait d’illustrations, de textes descriptifs et de carrefours à base de choix qui, par leur profusion narrative, se double d’un voyage intérieur du joueur face au cosmos : “Il est très difficile d’exprimer les nuances complexes des humains par les nouveaux médias. Le texte reste encore un support solide pour les transmettre.”

Final Frontier

Si la question technique reste finalement relative, la fascination du jeu spatial viendrait plus de l’expérience métaphysique qu’il infuse à son joueur. Expérience qu’on peut d’ailleurs retrouver
théorisée dans un des derniers trailers de Star Citizen. Alors que s’enchaînent des séquences de jeu à la beauté stupéfiante, un slogan marque la rétine: “ What are your dreams ? […] What if, you could have this dream now ? “(“Quels sont vos rêves ? Et si vous pouviez réaliser ce rêve, dès maintenant ?”) Mais c’est bien sûr : qu’est-ce que l’espace, sinon ce rêve vers l’infini, et au-delà ? Qu’il soit AAA, indé, arty ou commercial, le jeu vidéo spatial cultive le même fantasme : celui d’un grand bac à sable libertaire, où tout acte peut se concevoir sans barrière physique ou morale, laissant une belle marge de manœuvre aux gameplays de tous poils, mais aussi aux ego-trips existentialistes de plus en plus barrés : ” La science fiction est le domaine des “grandes idées”, nous rappelle FibreTigre. On imagine l’immortalité de l’Homme, son affranchissement de la prison qu’est la planète Terre. Ce territoire est en harmonie avec le développement technologique actuel et palpable par tout le monde, configuration qu’on avait d’ailleurs déjà au début du XXe siècle, avec Jules Verne. Internet a renforcé les deux idées d’individualité et d’unité collective, cette idée de jouer et de réussir seul dans un univers où un nombre importants de joueurs interagissent avec nous. Il y a un vertige de l’interaction qui est en résonance avec le vertige de l’immensité cosmique.”

EVE : Valkyrie

Cette idée de l’immensité, Elite Dangerous en joue constamment, pour justement titiller le libre arbitre de son joueur, le questionner sur son rôle dans le jeu, et par extension, dans l’univers. Selon Adam Woods : “ Pour moi, l’espace restera toujours le symbole de l’inconnu. L’espèce humaine a toujours été obsédée par la compréhension de ce qui l’entoure ; en cela, l’espace, c’est l’ultime frontière (final frontier) à faire tomber . C’est pour ça qu’aujourd’hui, certaines personnes se sentent prêtes à partir sur Mars en aller simple, juste pour savoir ce qu’il y a . Pouvoir explorer la Voie Galactée dans Elite Dangerous, même de façon virtuelle, répond à ce même besoin de curiosité. “ L’usage de final frontier, vocabulaire autrefois attribué à la Conquête de l’Ouest américain, confirme bien la perpétuation d’un esprit héroïque de conquête d’un espace, et d’idéal de liberté totale conjoint, qui se voient ici propulsés au-delà des stratosphères, loin des contraintes matérialistes d’un monde bassement terrien. Un modèle libertaire d’obédience yankee, que vient encore une fois tempérer la philosophie d’un Out There : “ On a voulu donner une approche réaliste et scientifique de l’exploration ,spatiale. La réalité est suffisamment stupéfiante pour faire rêver en puissance. Sur une autre note, on a voulu une vision “européenne”, dans le sens “non-américaine” c’est à dire “non belliciste et non conquérante, non axée sur le commerce et non centrée sur l’argent” de l’exploration spatiale. Et le marché nous a donné raison : derrière le Moloch que représente le marché américain, le pays où Out There se vend le mieux reste la Russie, qui voit en notre héros un Youri Gagarine next gen.”

Stellar Jungle

Mais si Out There se refuse une certaine normalisation de la colonisation spatiale, il se résout tout de même à une idée commune à tous ses représentants : l’espace reste cette jungle à défricher par la douleur et l’échec, ce chemin de croix où l’on meurt dans l’indifférence totale, absorbé par les forces totalitaires du cosmos. Derrière l’idéal de liberté se cache donc une peur bien plus profonde : que faire de toute cette liberté ? comment la transformer en challenge, et, par extension, en sentiment de progression et de réussite, alors que chacun reste, au fond, une vulgaire goutte dans l’océan ?
Selon Woods, Elite Dangerous construit son challenge autour de l’idée de liberté totale, précisément parce qu’il lui donne un sens: “ Nous voulions que le jeu donne ce feeling d’être écrasé, presque insignifiant, par le terrain de jeu qui nous entoure. Vous commencez le jeu avec une coquille de noix, une poignée de crédits, dans un monde déjà peuplé de pirates, de marchands, de flics, qui ont tous leur background en plus du vôtre. Comment faire pour exister, se faire un nom ? Passer tranquillement son temps à forer du minerai pour collectionner tous les vaisseaux du jeu, ou mourir héroïquement dans le Grand Vide ? A vous de voir.”

Star Citizen

L’infini a ses limites

Si Elite Dangerous réussit à donner le tournis sur de nombreuses heures, il pose néanmoins une question plus critique : celle de ses propres limites. De l’aveu même de ses créateurs, le jeu reste un chantier au long cours à peine entamé, mais appelé à se développer sur les années. Si le succès de Frontier laisse confiant, le monstre de Cloud Imperium Games laisse plus sceptique. S’il reste le plus grand chantier indé jamais entrepris, permis grâce aux nouvelles voies du financement participatif, Star Citizen nourrit autant de fantasmes que de craintes. Pour l’instant développé en modules (un pour le dogfight, pour le FPS, un pour l’exploration et l’interaction sociale), le jeu ressemble davantage à une masse désarticulée qu’un AAA tenant sur ses deux jambes. Mais surtout : qui sait si son développement va s’arrêter un jour, le jeu ne cessant de multiplier les nouvelles promesses, tout en engrangeant les millions ? D’autant que, si le jeu ne sait pas diversifier son contenu sur les années, il risque bien de devenir une immense cathédrale, sublime mais vide, abandonnée de tous, même par ses plus fervents adorateurs. Le plus grand ennemi du jeu spatial reste finalement son propre ADN : cette immensité qui peut autant émerveiller que condamner à l’oubli ceux qui s’y perdent. Si Star Citizen, ou No Man’s Sky représentent, chacun à leur manière, les fantasmes ultimes du genre spatial, ils peuvent aussi en signer son chant du cygne, par excès d’orgueil. “Dans le tissu de l’espace comme dans la nature de la matière, figure, en tout petit, la signature de l’artiste.”, disait Carl Sagan. A force de vouloir trop tutoyer les étoiles, cette signature pourrait vite mourir dans l’indifférence. Mais continuons à rêver.

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