Hier, Nintendo a remis de l’eau dans son vin et a finalement annoncé un partenariat avec DeNA pour développer des jeux sur mobile utilisant des licences connues et populaires comme Super Mario ou Zelda. Dans le même temps, et très certainement pour couper court à toute spéculation sur la possibilité que Nintendo abandonne son cœur de métier, Iwata a évoqué pour la première fois la prochaine machine du constructeur, actuellement en plein développement, la NX.
Pourtant, le ton n’était pas le même il y a un an, quand Nintendo annonçait sa nouvelle stratégie sur le moyen et long terme. Il était prévu que des applications promotionnelles pour mettre en avant les jeux des différentes consoles soient développées, mais il n’était pas encore question de sortir des jeux Nintendo sur mobile. Iwata a d’ailleurs bien insisté sur ce point.
Cependant, si vous écrivez que nous allons sortir Mario sur smartphones et tablettes, ça serait une affirmation complètement erronée.
Que s’est-il passé en 1 an ? Pourquoi ce revirement ? Si rien ne peut être clairement affirmé, il y quand même fort à parier que les investisseurs aient fini par faire plier Iwata. Ces mêmes investisseurs voient d’un œil extrêmement gourmand l’immense gâteau du marché mobile dans lequel ils rêvéraient voir Nintendo mordre à pleines dents. De plus, 2015 risque d’être l’année où le chiffre d’affaires du mobile dépassera celui du marché console d’après certains analystes. Miam.
Pour démontrer cette impatience des actionnaires, on peut prendre comme exemple les drôles d’envies de Seth Fischer, un de ces investisseurs gourmands. Ce dernier estimait que le marché du mobile pour la démographie visée par le constructeur (et son catalogue) s’élevait à plus de 100 milliards de dollars. Cette analyse n’aurait évidemment pas choqué s’il n’avait pas ajouté à cela :
Imaginez simplement payer 99 centimes simplement pour que Mario saute un peu plus haut.
En une phrase, Seth Fischer a démontré la fracture de vision entre les personnes qui mettent des billes dans l’entreprise et qui ne voient pas les ventes de Wii U décoller – bien que les choses se soient améliorées depuis l’été dernier, grâce à Mario Kart 8 – et celles des exécutifs de Nintendo, dont Iwata, élevés à une tout autre école.
Nintendo est une entreprise d’un traditionalisme confondant. « Une société très japonaise, même pour les Japonais », expliquait Dan Alderman, l’ancien responsable du catalogue dématérialisé du constructeur. Faire accepter une proposition venant de la base de l’entreprise est mission impossible. Quant à Iwata, s’il veut soumettre un projet, il doit convaincre un à un les membres du « cartel » à Kyoto pour espérer initier du mouvement dans l’entreprise.
Or les membres de ce fameux board ont gardé les bonnes vieilles habitudes qui ont couru de la moitié des années 80 jusqu’à la moitié des années 2000. C’était une tout autre époque : on ne jouait pas en ligne, pas plus que sur son téléphone. Les free-to-play n’existaient pas, ou si peu, et le simple fait de faire des bons jeux et de les promouvoir correctement était suffisant pour gagner de l’argent.
Cette dichotomie a également été démontrée en mars 2014, pendant la séance de questions-réponses entre les dirigeants de Nintendo et les investisseurs. À ce moment-là, Iwata était absent pour raison de santé et certains actionnaires se sont lâchés :
Je ne comprends pas les jeux vidéo et je suis même en colère parce que, aux réunions des actionnaires, les investisseurs parlent uniquement de problèmes relatifs aux jeux vidéo ou bien de sujets puérils comme « qu’est-ce que devrait être le futur du jeu vidéo », alors que, en ce qui me concerne, je suis éberlué du fait que monsieur Iwata conserve son poste, bien qu’il ait dit qu’il démissionnerait si ses résultats étaient mauvais.
J’espère que les réunions des actionnaires deviendront une occasion durant laquelle nous pourrons discuter des projets de l’entreprise du point de vue du gain de capital et des dividendes.
Il semblerait que cette pression du monde financier ait fini par faire plier les dirigeants de la firme.
Nintendo sur mobile, la continuité d’une longue mutation qui n’est pas prête de s’arrêter
Depuis, il s’est passé beaucoup de choses en un an. Les DLC se sont réellement démocratisés sur console Nintendo grâce à Mario Kart 8 et certains sont d’ores et déjà prévus pour Super Smash Bros. Nintendo a sorti les amiibos, sa propre gamme de « jouets vidéo », sur le modèle des Skylanders. Ils représentent les grandes figures de l’intégralité de son catalogue et malgré leur utilité limitée, ils se vendent bien. Le constructeur peut se targuer d’en avoir vendu plus de 3,5 millions. Nintendo s’est également lancé dans le free-to-play, avec la sortie le mois dernier de Pokémon Shuffle sur 3DS qui reprend à l’identique le modèle économique de Candy Crush Saga.
Ainsi, si on met tous ces changements en perspective, le fait que Nintendo retourne sa veste sur le mobile ne semble pas être la décision la plus illogique que le constructeur ait effectuée ces derniers temps. Il continue simplement d’adopter des pratiques que ses concurrents ont déjà adoptées depuis longtemps. Et ce pour une raison très simple : Nintendo n’a plus le choix, il doit se moderniser.
Car le temps où Nintendo était à la pointe et donnait le ton est révolu. La firme n’a pas pu capitaliser sur l’ère de la Wii et a accumulé un retard tant sur le plan technique que sur le plan commercial. Et loin de moi l’idée de considérer ce modèle traditionnel comme d’arrière-garde (même si c’est vraisemblablement le cas sur de nombreux points), simplement, Nintendo n’a plus les moyens d’imposer ses règles du jeu.
Il doit d’abord combler son retard. Pas forcément sur les aspects techniques de ses machines d’ailleurs. L’échec de la PS Vita et les bons résultats de la 3DS ont encore une fois démontré que la puissance ne fait pas tout. En réalité, c’est surtout dans sa politique en ligne que Nintendo a des lacunes immenses. Sauf exception, aujourd’hui, sur l’eShop il n’y a aucun cross play, aucun cross buy, aucune notion de comptes utilisateurs et des tarifs qui font rire n’importe quel possesseur d’un compte Steam.
Demain, ce ne seront plus les machines qui compteront, mais bien les catalogues. Microsoft le sait, lui qui a tenté de mettre en place un système « à la Steam » avec sa Xbox One. Aujourd’hui, la firme est également sur le point d’unifier les environnements Xbox et Windows afin de créer un écosystème fermé, mais unifié, façon Apple. Sony en est également conscient. Lui qui a créé ses comptes utilisateurs depuis bien longtemps et qui met beaucoup de moyens pour développer le PlayStation Now, son service de jeux en streaming par abonnement.
En annonçant les jeux sur mobile, Nintendo joue très gros. Car l’environnement des jeux mobile n’est pas le plus prompt à favoriser les jeux de qualité. Or, le premier atout de Nintendo, celui qui peut lui permettre un futur radieux dans son fameux « cœur de métier » qu’il chérit tant, c’est bien la qualité constante de ses titres, depuis les débuts de la firme dans le jeu vidéo.
Nintendo possède le catalogue de licences le plus fort parmi tous les éditeurs au monde. « Mario », « Pokémon », « Zelda », ces trois noms représentent à la fois un gage de qualité, un gage de succès, mais aussi des symboles culturels qui dépassent la sphère du jeu vidéo. Cette image de marque privilégiée s’est construite sur le temps, sur la rigueur de la marque, mais aussi sur une fréquence modérée de la sortie de ces jeux.
En proposant les licences les plus populaires sur les plateformes les plus populaires (aujourd’hui, les smartphones et les tablettes), il est évident que Nintendo va rencontrer un gros succès. Mais à quel prix ? Si la firme ne fait pas attention à la qualité des jeux qui sortiront sur ces plateformes, il pourrait bien y laisser quelques plumes d’un point de vue de l’image.
Or il y a fort à parier que c’est cette même image de marque qui permettra à Nintendo de vendre demain ses jeux traditionnels. Si aujourd’hui, Nintendo laisse DeNA proposer aux joueurs de « sauter plus haut pour 99 centimes seulement », c’est peut-être le Nintendo de demain qui en pâtira.
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