Retour sur des mois de bataille intense, mêlant géants du web et des télécoms, lobbyistes, FCC, Congrès et le président des États-Unis.
L’annonce de Tom Wheeler, président de la FCC
Pour une surprise… Comcast, Verizon et consorts doivent encore avoir du mal à comprendre ce qui vient d’être annoncé. Dans une tribune publiée dans Wired mercredi 4 février, le président de la FCC (Federal Communications Commission), Tom Wheeler, annonce vouloir proposer à ses collègues de la Commission « les plus fortes protections en faveur d’un Internet ouvert jamais proposées » et ainsi consacrer un strict respect de la neutralité du Net.
Today, I’m proposing rules to keep the Internet fair, fast and open and grounded in #TitleII authority.
— Tom Wheeler (@TomWheelerFCC) 4 Février 2015
Concrètement, l’accès à Internet deviendra un service de communication placé sous l’égide du Titre II du Telecommunications Act (Title II : Broadcast Services) en lieu et place du statut dont bénéficiaient les opérateurs alors, celui de service de communication. Ce même service qui permit à la justice américaine de contester à la FCC l’autorité d’imposer les règles de la neutralité du Net aux opérateurs.
En usant de l’autorité que lui confère ce Titre II, la FCC compte « mettre en œuvre et imposer les protections d’un Internet ouvert. »
Désormais, l’accès à Internet sera considéré comme un « service public », comme voulu par Barack Obama, au même titre que l’accès à l’eau et l’électricité. Les géants des télécoms devenant des « common carrier », transporteurs publics.
L’autorité indépendante américaine aura ainsi compétence pour interdire toute discrimination technique (blocage ou ralentissement) sur le réseau et l’application de voies prioritaires payantes. Ce que lui opposaient les Républicains en arguant que la FCC n’avait pas l’autorité nécessaire pour intervenir sur des lois édictées par les États, mais également imposer ce type de principe qui contreviendrait au libre fonctionnement du marché.
Paul Rand, le sénateur candidat à l’investiture républicaine, a déclaré que ces propositions constituaient « L’équivalent du maoïsme au XXIe siècle ». Quand le sénateur Ted Cruz comparait la neutralité du Net à l’Obamacare.
"Net Neutrality" is Obamacare for the Internet; the Internet should not operate at the speed of government.
— Senator Ted Cruz (@SenTedCruz) 10 Novembre 2014
De simple service commercial à service public
Las, le régulateur américain peut exercer son mandat dans toute sa mesure et établir les règles qui s’appliquent aux opérateurs télécoms comme bon lui semble et ce, sans l’aval du Congrès.
Adieux donc à la perspective d’un internet à deux vitesses, avec des voies rapides offertes à ceux qui paieront leur accès. À l’image de Netflix qui s’était résolu à un accord avec Comcast en février dernier, puis un autre avec Verizon en avril, afin de proposer un meilleur service à ses clients, ce qui lui avait valu les reproches des partisans de la neutralité du Net. Ces accords deviendront de ce fait illégaux.
Dans sa tribune, Tom Wheeler promet donc de revenir sur le terme de « commercialement raisonnable » (art 706 de la loi sur les télécommunications de 1996) qui a pu être interprété par les opérateurs comme « commercialement raisonnables » pour les « intérêts commerciaux et non les consommateurs ». Afin d’inciter les FAI à poursuivre leurs investissements, Tom Wheeler annonce vouloir « moderniser » la réglementation du Titre II en « l’adaptant au XXIe siècle ».
Comment ces nouvelles règles seront répercutées sur le réseau et les abonnements ? Pour les opérateurs, une vitesse égale pour tous risque de dissuader les investissements en infrastructure et ralentir la vitesse des services dans son ensemble. Les opérateurs prétextant que l’entretien du réseau coûte très cher et qu’il serait normal de faire payer, non seulement ceux qui sont pourvoyeurs de bande passante, comme Netflix qui représente à lui seul 1/3 du trafic internet aux heures de pointe, mais également ceux qui désirent proposer un meilleur service à leurs clients.
Tom Wheeler assure qu’il n’y aura pas de réglementation sur les prix, les opérateurs conservent la liberté d’établir les prix pratiqués et « d’introduire de nouveaux produits sans demander la permission de qui que ce soit ». La crainte de voir les coûts supposés d’entretien du réseau se répercuter sur le tarif des abonnements et donc sur les consommateurs est réelle – tarifs déjà bien supérieurs à ceux pratiqués en France par exemple. Les prochains mois devraient nous apporter une réponse.
La FCC a également consacré la neutralité du Net sur la téléphonie mobile, mais pas comme BlackBerry le voulait, dans l’égal accès à Internet, sans discrimination.
L’internet doit être rapide, équitable et ouvert. C’est le message que j’ai entendu des consommateurs et des innovateurs à travers cette nation. C’est le principe qui a permis à internet de devenir une plateforme sans précédent pour l’innovation et l’expression humaine. […] La proposition que je présente à la commission assurera que l’Internet reste ouvert, maintenant et à l’avenir, pour tous les Américains.
Depuis l’annonce, les géants du web, pourtant partisans de la neutralité du Net, sont restés étrangement silencieux. Pas une déclaration. Peut-être attendent-ils le concret avec l’annonce des mesures présentées par Tom Wheeler devant la Commission le 23 février et leurs votes trois jours plus tard le 26, avant de se réjouir ?
Ce qui attend la FCC ?
Le président de la Commission Fédérale des Communications doit présenter sa série de mesures le 23 février à ses collègues. Si le vote semble acquis, nous ne sommes pas à l’abri d’un énième retournement de situation. Gageons que d’ici là les lobbyistes des télécoms ainsi que les Républicains ne vont pas ménager leurs efforts. Le mastodonte Comcast a ses entrées à Washington (son CEO ne s’est d’ailleurs pas fait prier pour débattre neutralité du Net avec la Maison Blanche) et les Républicains seraient trop heureux de contrer la volonté affichée par Barack Obama de faire de l’accès à Internet un « service public ».
Ces derniers n’ayant pas tardé à déclarer que l’annonce de Wheeler sur la neutralité du Net était « le fruit de l’intervention de la Maison Blanche dans les affaires d’une commission indépendante. », comme le rappelle FranceTv Info.
GOP vows to fight FCC #netneutrality proposal. They say it's product of White House meddling in an independent agency http://t.co/4wfaU1Jrqj
— WSJD (@WSJD) 6 Février 2015
Une contestation de posture puisque les Républicains ne sont pas contre la neutralité du Net et leur plan est quasi similaire à celui présenté par Tom Wheeler, nous précise encore FranceTvInfo. Ils souhaitent juste lui ôter tout pouvoir décisionnaire au profit… du Congrès !
Prochaine étape le 23 février, date à laquelle Tom Wheeler présentera ses mesures à la Commission dont le vote est annoncé pour le 26 février.
Rappels des faits
Janvier
La FCC souhaite imposer les règles strictes de la neutralité du Net aux opérateurs de télécoms. Ce qu’apprécie modérément le mastodonte Verizon qui attaque en justice, comme Comcast quatre ans auparavant en 2010. Le 14 janvier 2014, la décision tombe : la justice estime qu’étant donné que la Commission n’a pas classé les FAI dans la catégorie des « common carriers » celle-ci n’a pas autorité pour réglementer ses activités de service d’information et ne peut donc lui imposer le principe de la neutralité du net.
Avril
Peut-être douchée par la décision rendue, la Commission change son fusil d’épaule, son président, Tom Wheeler (désigné par Barack Obama et ancien lobbyiste pour les opérateurs télécoms), annonce un ensemble de mesures visant à modifier le principe de la neutralité du Net et qui permettrait aux FAI d’offrir un traitement préférentiel à certains sites web moyennant compensation. Premier revirement.
Mai
le 8, les géants du web entrent dans la bataille (https://www.journaldugeek.com/2014/05/09/geants-web-bataille-neutralite-net-fcc/) et ne comptent pas laisser la FCC marchander le principe de la neutralité du Net au profit des FAI : 150 compagnies high-tech dont Facebook, Twitter, Google, Amazon, Netflix et Microsoft adressent une lettre ouverte à la FCC lui enjoignant de défendre ce principe et de renoncer au projet de son président Tom Wheeler suite à l’adoption de la proposition controversé ouvrant la voie à un Internet à deux vitesses.
Le 15 mai, Tom Wheeler présente ses propositions à la Commission qui les adopte.
Juin
La neutralité du Net devient un sujet brûlant, John Oliver, humoriste et acteur britannique, y va de sa petite contribution dans son émission, Last Week Tonight, sur HBO.
Novembre
Silencieux jusqu’ici, la FCC étant une institution indépendante, Barack Obama semble s’être laissé convaincre par les géants du Net. Le 10 novembre, il sort du bois et prend position pour la neutralité du Net.
Dans un communiqué, il consacre « un Internet ouvert, accessible et libre », devant être considéré comme un « service public ».
Si Tom Wheeler « salue » les propositions présidentielles, il doit présenter ses nouvelles mesures à la Commission le 19 novembre et aurait déjà affirmé devant quelques acteurs du Net vouloir proposer un plan « plus nuancé ». Sans doute pour ne pas être soupçonné d’une trop grande promiscuité avec Washington, Wheeler déclare à plusieurs reprises lors d’une réunion que « la FCC est un organisme indépendant ».
Comcast et les Républicains poursuivent leur intense lobby.
Janvier
Obama enfonce le clou et souhaite permettre aux municipalités qui le désirent de construire leur propre réseau internet, poursuivant sa volonté de faire de l’accès à Internet un « service public ». Il souhaite ainsi démocratiser l’internet haut débit, « rapide et moins cher » puisque ouvert à la concurrence. Il remet la pression sur la FCC en l’exhortant à « neutraliser » certaines législations édictées par les États qui protègent trop bien les géants des télécoms contre les petites villes.
Février
Revirement total de la FCC. Tom Wheeler annonce vouloir présenter à ses collègues de la Commission « les plus fortes protections en faveur d’un Internet ouvert jamais proposées ». La neutralité du Net vient d’être consacrée aux États-Unis.
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Extra, bonne nouvelle, et article très pertinent, merci !
Et c’est vraiment là qu’on se dit que les républicains n’ont pas plus d’intelligence qu’une poignée de porte.
Le fric a tout prix. L’intérêt des citoyens américains ils s’en fichent ! Bush était un républicain, tout s’explique.
ps : Très bon article !
Bon article mais vous allez vite en besogne.
Le vote n’a pas eu lieu et on ne connait pas les mesures proposées, donc affirmer que le principe de Net Neutrality est consacré au USA est vraiment un raccourcis.
C’est en bonne voie, et ça s’annonce bien mieux que prévu, pour le reste wait & see, on ne vend pas la peau de l’ours…
C’est un montage la dernière photo avec Obama ?
@Zekat : Bien sur, comme précisé dans l’article, FAI et opposants n’arrêtent pas leur lobbying pour autant et espèrent bien que la Commission aille dans leur sens.
Néanmoins, après un an de bataille intense et de revirements, que le président de la FCC consacre ainsi la neutralité du Net est une -première- victoire pour ses défenseurs.
Concernant les mesures, à la lecture de sa tribune publiée dans Wired (http://www.wired.com/2015/02/fcc-chairman-wheeler-net-neutrality), il serait surprenant qu’il ne propose pas des mesures respectant la neutralité du Net : “Je soumets à mes collègues les plus fortes protections en faveur d’un Internet ouvert jamais proposées par la FCC. Ces règles exécutoires (…) interdiront les priorités payées, le verrouillage et la limitation des contenus et services”.
Après, on n’est pas à un retournement de situation près ! ^^
@Iro : du tout ! 🙂
Ce qui me turlupine, c’est que maintenant Ils sont devenus un service public pouvant tirer des subventions du contribuables ….l’arbre cache t-il la foret ? l’avenir nous le diras…
Faut espérer que ce soit le dernier revirement …