« Collusion avec les autorités américaines », c’est l’accusation formelle prononcée par les trois journalistes collaborateurs de Wikileaks à l’encontre de Google, accusé d’avoir transmis toutes leurs données personnelles stockées au FBI, lors d’une conférence de presse au Centre suisse de la presse à Genève lundi 26 janvier.
Voila qui ne va pas arranger les affaires des géants du web. Empêtrés dans le scandale des Snowden’s Files dévoilant la surveillance massive de la NSA, à qui certaines entreprises du web ont allègrement prêté main forte, les géants du web (Apple, Facebook, Microsoft, Twitter, Yahoo !, etc.) pâtissent déjà d’une cote de popularité des plus vacillantes depuis ces révélations et tentent encore de restaurer la confiance perdue des internautes et citoyens du monde entier.
Des faits frappés du sceau du secret
Mars 2012, en pleine tempête Wikileaks sur fond de leaks, d’affaire Manning et de poursuite pour agressions sexuelles, et seulement quelques mois avant que Julian Assange ne trouve refuge au sein de l’ambassade d’Équateur à Londres, un juge fédéral délivre un mandat de perquisition au FBI pour des faits présumés d’ « espionnage » et de « conspiration » notamment.
Google transmet alors l’ensemble des données privées en sa possession concernant trois journalistes de Wikileaks : Sarah Harrison, bras droit et conseillère du whistleblower Edward Snowden, Kristinn Hrafnsson, porte-parole de Wikileaks, et Joseph Farrell. Pas seulement les métadonnées, ces données que l’administration US et la NSA présentent comme accessoires, du type heure et temps d’appels, numéro entrant et sortant etc., non.
Selon The Guardian, le mandat réclamait l’ensemble des données personnelles que Google pouvait détenir : le contenu de tous les emails, reçus et envoyés, les brouillons et courriers effacés sur Gmail mais également toutes les métadonnées attachées à ces courriers, les contacts et l’historique de toutes leurs connexions avec adresses IP correspondantes ainsi que les numéros de comptes bancaires associés à ces comptes.
Sachant que Google s’est fait un point d’honneur de proposer et rassembler le plus de services possibles au sein de sa structure, l’ensemble des données demandées fait figure de livre ouvert sur leur vie professionnelle et personnelle.
La révélation
Interrogé par le quotidien britannique, Google s’est contenté de répondre d’un laconique et très vague “Nous suivons la loi comme toute autre entreprise“, sans confirmer l’étendue des données personnelles délivrées.
« Lorsque nous recevons une commission rogatoire ou une requête judiciaire, nous vérifions qu’elle respecte l’esprit et la lettre du droit avant de nous exécuter. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons émettre une objection. »
Tenu au secret pour un temps indéterminé en vertu de l’ordonnance signée par le FBI, Google a rompu le silence le 23 décembre 2014 dans un courriel adressé aux journalistes.
“Nous sommes stupéfaits et troublés par le fait que Google ait attendu plus de deux ans et demi pour informer ses abonnés qu’un mandat de perquisition avait été délivré pour leurs enregistrements », s’est indigné leur avocat Michael Ratner dans un courrier adressé au président exécutif de Google, Eric Schmidt.
Ajoutant que ce « défaut de notification a empêché les trois journalistes de protéger leurs intérêts, et notamment leur droit à la confidentialité ».
Ce à quoi Google a répondu en rappelant que la firme était soumise à un impératif de silence (Gag Order) qui ne lui octroyait pas le droit de s’entretenir sur les procédures en cours.
Dans ce même courrier, l’avocat rappelle à Google la position de Twitter dans ce genre de dossier, la firme s’étant battue pour protéger les intérêts de l’euro-députée islandaise Birgitta Jonsdottir, ancienne activiste et porte-parole de WikiLeaks. Twitter qui se bat toujours contre le gouvernement pour plus de transparence.
Mais il n’oublie pas non plus d’évoquer un entretien entre Eric Schmidt et le fondateur de Wikileaks au cours duquel Assange avait demandé au boss de Google le même type d’attitude que Twitter pour sa compagnie, ce à quoi Schmidt avait répondu qu’il “ferait suivre” sa requête au service juridique de Google. Ou l’art de botter en touche…
“Collusion avec les autorités américaines”
Pour les avocats de Wikileaks, Baltasar Garzon et Melinda Taylor, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « violation du Privacy Protection Act de 1980 [..] qui protège les journalistes et les éditeurs » des intrusions du pouvoir judiciaire. Quid du secret des sources notamment ?
Avec cette révélation, Wikileaks s’estime conforté dans l’idée d’un dossier à charge bâti par le gouvernement américain contre son fondateur Julian Assange et les membres du site mais surtout de la collusion de Google avec les autorités américaines.
Numerama ressort d’ailleurs cette déclaration de Julian Assange tirée de son livre, When Google Met Wikileaks, dans lequel il estime que “Les aspirations géopolitiques de Google sont fermement mêlées dans celles de l’agenda des affaires étrangères de la plus grande superpuissance mondiale. A mesure que le monopole de Google sur la recherche et les services Internet s’accroît (…), son influence sur les choix et les comportements sur la totalité des être humains se traduit en un véritable pouvoir d’influer sur le cours de l’histoire ».
Encore récemment à Davos, les géants du web s’inquiétaient de l’impact du scandale de la NSA dans l’esprit des gens et demandaient plus de transparence sur les activités de l’Agence de sécurité nationale :
“Nous devons être capables de rétablir un lien de confiance avec les utilisateur. La confiance a pris un coup, pas seulement aux Etats-Unis, mais aussi sur la scène internationale, dans des pays vraiment préoccupés par ce que la NSA observe” a estimé Marissa Mayer, la boss de Yahoo!.
Pour la dirigeante, les utilisateurs “ont besoin de pouvoir comprendre quel type de données on [les autorités] nous demande et comment ces données vont être utilisées ».
Vendredi dernier, Barack Obama a promis une réforme des pratiques de la NSA et son intention de réduire les pouvoirs de l’agence en réformant la collecte de données téléphoniques, tout en promettant de ne plus espionner les dirigeants de pays amis. Ce qu’il avait déjà promis voici un an dans son discours sur les réformes de la NSA. Un discours plein d’intentions, peu suivi dans les actes et qui laissait présager une réforme en forme de coquille vide.
Il est aussi intéressant de noter l’obstination et la véhémence de l’administration américaine à l’égard des whistleblowers et des journalistes – il y a quelques jours encore, un journaliste proche des Anonymous a été condamné à 5 ans de prison, Julian Assange est toujours réfugié à l’ambassage d’Équateur à Londres, Chelsea Manning a été condamné à 35 ans de prison, Edward Snowden est toujours réfugié politique en Russie – et la clémence dont elle fait preuve lorsqu’il s’agit d’un gradé de l’armée accusé d’avoir divulgué des informations classifiées à sa biographe qui se trouvait également être sa maîtresse.
Pour Dianne Feinstein, présidente de la Commission du Renseignement au Sénat et très dure à l’égard des pratique d’espionnage de la CIA que sa commission a eu à subir notamment, David Petraeus “a assez souffert“ et ne devrait pas être poursuivi. Avis que semble partager Barack Obama.
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