Nintendo est une de ces rares entreprises du jeu vidéo où la qualité est systématiquement assurée. Avant qu’un jeu Nintendo sorte, tout le monde est à peu près sûr qu’il s’agira d’un bon jeu. Il ne s’agit pas tout le temps de jeux excellentissimes, mais, au minimum, le jeu respectera des standards de qualité qui figurent parmi les plus élevés de l’industrie. Seuls Blizzard et peut-être Valve pourraient en dire autant à l’heure actuelle.
Cependant, Nintendo est également une entreprise qui prend régulièrement des décisions tellement stupides qu’on se demande si ces dirigeants vivent bien dans le même siècle que nous. Un des exemples qui me tient particulièrement à coeur concerne leur infrastructure en ligne. Principalement basée sur des comptes intimement liés au hardware, elle est archaïque, mal pensée et frustrante. Typiquement, si je possède deux 3DS (une XL pour la maison et une classique pour les déplacements), il est impossible de connecter les deux consoles sur le même compte et donc d’accéder aux jeux achetés simultanément, sur les deux systèmes. Les joueurs PC étrangers aux consoles Nintendo et bénéficiant de concepts comme le cross play, le cross buy ou encore les sauvegardes dans le cloud sont très régulièrement atterrés quand je leur explique le fonctionnement de l’eShop ou des Nintendo ID.
Pourtant Dan Adelman a tenté de militer pendant 9 ans au sein de l’entreprise pour faire bouger les choses. Parti récemment de la société – un peu en claquant la porte d’ailleurs, il faut bien le dire – le monsieur qui en a soupé, donne son point de vue extrêmement éclairé sur la façon dont fonctionne l’entreprise Kyotoïte. Et l’une des caractéristiques de fonctionnement interne de la société paraît incroyable de rigidité.
Nintendo n’est pas seulement une entreprise japonaise, c’est une entreprise basée à Kyoto. Pour ceux qui ne sont pas habitués avec ça, les entreprises basées à Kyoto paraissent aussi japonaises pour les Japonais que le sont les entreprises japonaises pour les Américains. Elles sont très traditionnelles, extrêmement portées sur la hiérarchie et les prises de décisions en groupe. Malheureusement, cela crée une culture d’entreprise où tout le monde est un conseiller et où personne ne peut prendre de décisions, alors que tout le monde possède un veto.
Vous l’aurez compris, une entreprise dans laquelle n’importe quelle personne en désaccord peut empêcher un projet de se mettre en place ne pourra jamais réussir à prendre de décisions risquées ou osées. De là à dire que Nintendo est dans une gouvernance en crise permanente, il n’y a qu’un pas qu’Adelman franchit allègrement.
Même M. Iwata est réticent à prendre une décision qui pourrait contrarier un des cadres au Japon. Ainsi, pour planifier quoi que ce soit, il devra faire énormément de travail sur le terrain : parler aux différents groupes internes, garantir leur accord et utiliser ces accords pour obtenir l’accord des autres.
Au niveau subsidiaire, cela est encore plus prononcé depuis qu’à NoA et NoE, les gens doivent passer par le même procédé en interne, puis de nouveau au sein du siège au Japon. Tout ceci n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais c’est extrêmement inefficace et chronophage. Le plus gros risque dans cette façon de faire est que si quelqu’un finit par dire “non”, le projet est considéré comme mort et enterré. C’est pour cela qu’en général, les idées courageuses ne passent pas si elles ne viennent pas du sommet de la hiérarchie.
D’après Adelman, un des autres problèmes liés à ces lourds processus décisionnels viendrait de l’ancienneté des plus hauts cadres de Nintendo. Certains sont là depuis de nombreuses générations de consoles et leurs états d’esprit n’ont pas obligatoirement évolué avec l’industrie. Ce conservatisme exacerbé couplé à la rigidité du fonctionnement interne serait alors la cause d’une paralysie de l’entreprise quand il s’agit de s’engager dans de nouvelles voies. Surtout quand il s’agit des questions du jeu en ligne.
Vous allez peut-être trouver que je fais de l’âgisme, mais à cause de la structure hiérarchique des entreprises japonaises, ils en sont au point où la plupart des cadres de chez Nintendo se sont fait les dents sur la période de la NES et de la Super NES et ne comprennent pas la culture moderne du gaming. Du coup, l’idée accepter des concepts comme le jeu en ligne, les comptes utilisateurs, les listes d’amis, ou encore la montée du PC se fait extrêmement lentement. Les projets sont souvent enterrés prématurément simplement parce que des personnes qui peuvent poser leur veto ne l’ont pas compris.
Il paraît fou qu’une multinationale comme Nintendo puisse fonctionner de la sorte. Il est d’ailleurs incroyable que des concepts comme la Wii ou la DS aient pu émerger d’une telle masse inerte. En tout cas, cette interview est extrêmement instructive sur les raisons qui font qu’en 2015, Nintendo n’ait pas encore créé de comptes utilisateurs indépendants du hardware pour les achats dématérialisés. Ce qui est une aberration.
Cette culture rigide permet certes de créer les jeux parmi les meilleurs du monde, mais lui fait prendre un retard de plus en plus conséquent sur ces concurrents. Il semblerait que des valeurs sûres comme Mario Kart, Pokémon ou Super Smash Bros. ainsi que le succès attendu des amiibos puissent sauver les finances de Nintendo sur les prochaines années, mais il y aura un moment où il ne sera peut-être plus possible de compenser.
Il s’agit peut-être DU problème systémique de Nintendo. J’ai beau être un très grand fan depuis toujours des jeux de l’entreprise, force est de reconnaître que le online craint, que l’infrastructure en ligne est archaïque, que les tarifs des jeux dématérialisés est trop élevé par rapport à ce qui est proposé sur PC (notamment sur console virtuelle) et que le hardware est trop désuet pour le prix demandé. Difficile aujourd’hui, quand on est un grand amateur des produits Nintendo, de ne pas regarder ce qu’il se fait chez Sony, chez Microsoft et sur PC et de ne pas pousser un grand soupir.
Il n’est pas impossible que tous ces problèmes qui ont in fine un impact sur le consommateur viennent directement de ce que pointe Adelman.
> L’interview complète sur Dromble
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