Depuis que la CJUE s’est emparé du droit à l’oubli (Right to be forgotten) et l’a confié à un mastodonte des Internets nommé Google, pensant lui tirer une balle dans le pied et le forcer à prendre ce problème à bras le corps, le résultat n’est pas si parfait qu’escompté. Liberté d’expression et liberté d’information remises en cause pour certains, pouvoir judiciaire confié à une entreprise privée pour d’autres, droit à l’oubli qui n’en est pas vraiment un (et limité aux seuls Européens), etc., les critiques affluent… au plus grand bonheur de Google, ravi de démontrer l’absurdité d’un tel principe, du moins sa dernière application, et de rallier journalistes et défenseurs des libertés à sa cause (récemment, des journalistes du Guardian et de la BBC se sont indignés que certains de leurs articles aient été purement et simplement censurés pour cause de droit à l’oubli, faisant craindre une remise en cause de la liberté d’information – dénoncée par RSF également ).
Afaq Tariq, développeur web américain, a choisi de permettre à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice avec son site collaboratif hiddenfromgoogle, comme il s’en explique lui-même sur son site :
Le but de ce site est de répertorier tous les liens censurés par les moteurs de recherche à cause de la récente décision du « Droit à être oublié » dans l’Union Européenne.
Cette liste est un moyen d’archiver les actions de censure sur Internet. C’est au lecteur de décider si nos libertés sont défendues ou violées par les récentes décisions de l’Union Européenne.
Ainsi, toute personne peut signaler les résultats censurés par Google, avec la source, le lien censuré et les mots de recherche bannis, le nom d’une personne – accolé ou non à d’autres termes – puisque la décision de la Cour précise qu’« En ce qui concerne l’étendue de la responsabilité de l’exploitant du moteur de recherche, la Cour constate que celui-ci est, dans certaines conditions, obligé de supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages Web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne. »
Avec plus de 70 000 requêtes en un mois et 12 000 reçues en un jour lors du lancement du formulaire en ligne, le droit à l’oubli ne laisse personne indifférent. Surtout en France, championne d’Europe des requêtes. C’est son application qui va être un véritable enjeu, s’il ne l’est déjà.
Faut-il laisser à une entreprise privée, un pouvoir judiciaire normalement confié à une institution étatique ou supranationale ?
Pour rappel, dans sa décision du 13 mai 2014, la CJUE énumère les critères empêchant l’application du droit à l’oubli numérique :
“Les liens vers des pages web contenant ces informations doivent être supprimés de cette liste de résultats, à moins qu’il existe des raisons particulières, telles que le rôle joué par cette personne dans la vie publique, justifiant un intérêt prépondérant du public à avoir, dans le cadre d’une telle recherche, accès à ces informations ».
Au vu de la demande considérable et des questions soulevées par cette décision, les personnes qui devront juger de l’opportunité d’accéder ou non, en fonction de « raisons particulières », aux demandes de droit l’oubli, auront une lourde tâche à accomplir. Une tâche qui dépasse sans doute la vocation d’une entreprise privée, aussi monumentale soit telle. Quand bien même celle-ci se targue de vouloir trouver un « juste équilibre entre la protection de la vie privée des individus et le droit du public à accéder à ces informations et à les diffuser. »
Pour pallier les éventuels reproches ou procès en incompétence, Google s’est entouré d’un comité consultatif d’experts chargé de plancher sur ce « juste équilibre » à atteindre et dont la composition était inconnue jusqu’alors.
Sous la houlette d’Eric Schmidt, président de Google, et de David C. Drummond, vice-président pour le développement de l’entreprise et directeur des affaires juridiques, ce comité fait la part belle aux Européens et est composé comme suit :
Luciano Floridi : professeur de philosophie et d’éthique de l’information à l’université d’Oxford ;
Sylvie Kauffman : directrice éditoriale du journal Le Monde ;
Lidia Kolucka-Zuk : ancienne directrice exécutive de l’association Trust for Civil Society in Central and Eastern Europe et juriste de formation ;
Frank La Rue : rapporteur spécial des Nations Unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et fondateur d’une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme ;
José-Luis Piñar : docteur en droit, ancien directeur de l’agence espagnole de protection des données et ancien vice-président du groupe européen de commissaires à la protection des données ;
Sabine Leutheusser-Schnarrenberger : ancienne ministre fédérale de la Justice et membre du Parlement allemand ;
Peggy Valcke : enseignante-chercheuse à l’université KU Leuven et professeur invité à l’université de Tilburg aux Pays-Bas (aspects juridiques de l’innovation dans les médias, le pluralisme des médias, et l’interaction entre la réglementation des médias et des télécommunications et le droit de la concurrence) ;
Jimmy Wales : président émérite et fondateur de la Fondation Wikimédia.
Mission ?
« Recueillir les commentaires des citoyens européens », à cette fin, le comité pourra organiser des consultations « enregistrées et diffusées en direct ».
Cependant, « le comité pourra également solliciter des contributions de la part de gouvernements, entreprises, médias, établissements universitaires, du secteur de la technologie, des organisations travaillant sur la protection des données et d’autres structures ayant un intérêt particulier dans ce domaine, afin de faire émerger et ainsi d’examiner les questions délicates se situant à la croisée entre le droit à l’information et le droit à la vie privée. »
Suite à ces diverses consultations, le comité rendra ses conclusions. Seront–elles prises en compte par la CJUE, bénéficieront-elles d’un consensus ? Pour l’instant, seul le temps nous le dira.
Outre le formulaire en ligne, si le droit à l’oubli vous intéresse, vous pouvez également donner votre avis, Google ayant prévu une page à cet effet
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Il y a une hypocrisie terrible chez Google, qui détourne de son but original la loi, en acceptant des requêtes que le droit à l’oubli ne devrait pas couvrir.
Ils continuent dans cette magnifique opération de communication afin de ne pas avoir à faire face à leurs responsabilités concernant les personnes ayant des requêtes légitimes à formuler.
Quand il s’agit de modérer ce qui est accessible sur Youtube ou autres tous les moyens sont bons (par exemple, les censures automatiques pour causes d’infraction supposée par un algorithme au droit d’auteur…), quand il s’agit de retirer des liens vers du téléchargement pas de problème, mais lorsqu’il s’agit du petit peuple, apparemment il ne faut pas en parler. Serait-ce parce qu’il n’y a pas d’argent à y gagner ?
Les victimes de diffamation ont un droit légitime à être protégées, les prépubères surexposés aux réseaux sociaux aussi. Je soutiens donc cette loi sur le droit à l’oubli.
Tout à fait d’accord avec vaal. Dans ce comité présenté ci-dessus, on a pas des pignoufs quand même ? Il y a très bien moyen, même au travers d’un unique algorithme made in Google, de filtrer les requêtes légitimes de celles d’un intérêt public…
Cette loi sur le droit a l’oubli est une énième loin infantilisante, qui traite les conséquence plus que les causes, le symptôme plus que la maladie. Et le prix a payer pour cela est la perte d’un peu plus de transparence, un surcroît de censure.
Droit à l’oubli… La loi en elle-même ignore complètement l’essence même d’internet. Ce qui est online l’est pour toujours, et ce peu importe ce qu’essaient des dinosaures arriérés (oui ça existe). Oh, et si c’est censuré, généralement, ça gagne juste encore plus d’exposition…
@orosius et @elindor: Nan mais comme dit vaal, Google se cache derrière la liberté d’expression pour contourner cette loi. Or, ça vise plutôt le particulier qui veut retirer des données dérangeantes plutôt que de censurer des articles de presses ou quoi, il faudrait faire preuve de discernement sur ce point.
Vous ne voyez pas la différence entre la sextape de votre maman se retrouvant malencontreusement sur internet et le fait de dénoncer des pratiques du gouvernement par exemple?
Y’a une différence entre comprendre la nuance et remettre en question son éventuel impact, ce que j’ai fait. Peu importe ce que tu essaies de faire, niveau censure sur le net, il y a de grandes chances que tu n’y fasses que gagner plus d’exposition qu’avant.
Non @elindor, ce dont tu parles c’est l’effet Streisand, et il ne peut se produire que s’il a logiquement un buzz qui l’entoure, aucune chance que ça arrive pour le commun des mortels, ou s’il n’y a rien d’insolite.
Et puis rien n’est tout noir ou tout blanc. Dans notre société le terme censure à une connotation très négative, alors que quand il s’agit de réparer une diffamation elle est pourtant la bienvenue.
Autre exemple la liberté d’expression est à l’inverse chez nous perçue d’un très bon oeil. Pourtant aux Etats-Unis là où elle s’applique parfois sans modération il est permit d’y voir de véritable néo-nazi arborant leurs attributs de guerre…
Oui et non. Ce que tu dis est vrai, mais il arrive – et pas rarement – que des inconnus au bataillon subissent la même chose – pour preuve le présent article !
J’ajouterai que tu as raison, la censure a parfois du bon, c’est juste qu’online, ça ne sert à rien… Et la soi-disant liberté d’expression, elle, a perdu toute signification, et n’est devenue qu’un prétexte pour beaucoup de monde pour clamer leur extrémisme. Comme tout n’est jamais noir ni blanc, il conviendrait que la loi circonvienne la liberté d’expression en conservant son essence, et permette l’effacement des données personnelles sensibles sans laisser de trace grâce à des processus suffisamment fins pour que ça marche… M’enfin, l’utopie, c’est pour les enfant, ma bonne dame.
Droit à l’oubli, qui va surtout servir à tous les pourris, les corrompus et les nantis a cacher toutes leurs magouilles, leur trafiques et leur crimes au reste du monde.