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Rafik Djoumi – BiTS – Arte : French Touch, Netflix, lanceurs d’alerte, Dune, SF, cinéma, etc.

Journaliste, critique de films, ancien chroniqueur d’Arrêt sur images et désormais aux manettes de l’émission BiTS, le magazine des cultures geek, sur Arte (dont le prochain…

Journaliste, critique de films, ancien chroniqueur d’Arrêt sur images et désormais aux manettes de l’émission BiTS, le magazine des cultures geek, sur Arte (dont le prochain et dernier épisode de la saison, spécial Japon, est diffusé ce mercredi 9 juillet, avant un retour sur la toile prévue pour octobre), Rafik Djoumi est avec tout un passionné intarissable sur son sujet (cinéma, littérature, BD, culture Pulp et plus généralement les cultures geek) et jamais à cours d’une anecdote concernant Star Wars, les ancêtres de la culture geek, Lovecraft et son Necronomicon, l’aventure américaine des inventeurs de la Louma, etc.

À travers son récit, Le Journal du Geek vous propose une plongée vertigineuse dans les univers geek. Passé, présent, futur s’entremêlent pour conter une histoire de la culture geek, plus complexe qu’on voudrait nous le faire croire.

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capture d’écran – Arte.fr

Cette troisième et dernière partie s’avère particulièrement riche : Netflix, French Touch dans les jeux vidéo, système de financement du cinéma français, majors hollywoodiennes, Dune, compagnons du Moyen-Age ou encore lanceurs d’alerte sont au programme.

3ème partie : d’hier à aujourd’hui

Justement, nous parlions du retard pris par la France précédemment, est-ce que vous sentez que le mouvement tend à s’inverser, qu’il y a désormais une réelle prise de conscience de l’importance du numérique comme levier économique notamment : de l’escapade de François Hollande à San Francisco, à la création de la French Tech, le travail effectué par Fleur Pellerin repris désormais par Axelle Lemaire, etc. ?

Le gouvernement français n’a pas toujours été à côté de la plaque. En 81, il a été décidé de faire de la France le premier pays à être doté d’un réseau informatique global. Quand ils sont bien conseillés, ils ne sont pas à côté de la plaque. Le problème, c’est d’avoir un suivi commercial. De permettre aux gens d’investir ce genre d’industrie avec la possibilité d’y faire de l’argent.

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Le minitel a a tiré sa révérence le 30 juin 2012. AFP/Pascal PAVANI

Au début des années 90, il y a eu un mouvement spontané en France : des individus isolés, développeurs de jeux vidéo, se sont mis à faire des jeux vraiment étonnants pour leur époque qui ont surpris le monde entier… sauf la France ! Ils intéressaient tout le monde sauf les Français. C’est pourtant en France qu’ont été inventés des systèmes de jeu comme celui de la stratégie en temps réel par exemple, qui aujourd’hui fait Civilisation, etc. À l’époque, c’était l’adaptation du jeu Dune, sorti en 90-91 en France (en 92 par le studio Cryo Interactive, ndlr). Ou encore le français Frédérick Raynal, le créateur d’Alone in the Dark développé en 92 je crois et qui est à l’origine du survival horror, qui ensuite a donné les Resident evil, Silent hill, etc.

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Resident Evil & Silent Hill

Il y a eu ce que les anglo saxons nomment, une « French Touch » dans les jeux vidéo. Cependant, elle n’a pas perduré, tout simplement parce qu’à l’époque ils [développeurs de JV, ndlr] étaient considérés, au niveau légal, comme des techniciens informatique. Ils avaient beau plaider leur cause en disant qu’ils avaient écrit un scénario, fait des dessins et composé de la musique, ils étaient considérés comme des techniciens informatique, ce qui ne leur donnait pas droit à une quelconque reconnaissance de leurs droits d’auteur, que la France donne généreusement aux artistes. Et dans le même temps, il n’y avait pas une industrie assez forte en France pour qu’ils puissent avoir de bons salaires avec ce qu’ils faisaient. Ils sont donc partis à l’étranger et on les a perdus. C’est plus à ce niveau là qu’il faudrait que la France réagisse.

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La French Tech ? L’idée ce n’est pas de tenter de créer artificiellement une vague et de permettre qu’elle s’épanouisse. Dans le milieu du cinéma français par exemple, et il y aura des résistances terribles s’ils font ça, le terme « Art et Essai » devrait, je pense, être complètement révisé ou en tout cas mieux défini. Il est à l’origine d’une terrible injustice : la France a un système permettant à des films qui, théoriquement, ne seraient pas considérés comme des films rentables de se faire. Pour peu qu’ils obéissent à des critères complètement flous qui sont d’être des films « Art et Essai ». Mais personne ne sait ce que « Art et Essai » signifie. Donc en gros c’est… vaguement chiant, dans la tête des gens.

Lorsqu’ils tombent sur des projets qui donnent l’air d’être vaguement chiants, à ce moment ils les valident. Non ! “Art et essai” c’est autre chose. Il y a le mot « art » pour artistique donc il faut que ce soient des projets portés par les auteurs, normal, et « essai » pour expérimental donc des gens qui tentent des choses qu’on ne fait pas en France. Depuis plus de 15 ans, je vois des tas de types butés parce qu’ils veulent faire de la SF et des choses comme ça mais évidemment personne ne leur donnera de l’argent pour. Ce n’est pas considéré comme un genre commercial en France, donc les gros groupes leurs sont fermés et le marché de l’Art et essai également parce qu’ils considèrent que le SF n’est pas de « l’Art et essai ». Mais qui a décidé cela ? Si le projet semble à ce point anormal, il devrait justement être considéré comme expérimental et donc faire partie de cette catégorie. Il y a une injustice de faite. Le problème, c’est qu’en se mêlant de ça, le gouvernement risque de se prendre une levée de bouclier énorme de la part de tous ceux qui aujourd’hui vivent de ce système d’aides.


VIVE LE CINEMA – Quentin Tarantino par Rays97

Les conditions d’un épanouissement industriel et financé n’est donc pas possible à l’heure actuelle dans certains domaines artistiques ?

Ce qui a empêché la French Touch de vraiment se développer dans le jeu vidéo à l’époque, ce n’est pas qu’on leur empêchait de faire leur métier, on les empêchait d’être reconnus à leur statut réel de créateur artistique. S’ils avaient été reconnus comme créateurs, peut-être qu’ils auraient décidé de rester en France et ils auraient naturellement fondé des studios, etc.
Après, il faudrait également donner aux entreprises les moyens d’exister. Pour exemple, le fait qu’Ubisoft soit obligé de délocaliser (au Canada) pour exister. C’est surtout ça, je pense, qui a fait réagir le gouvernement français concernant le jeu vidéo. Lorsqu’ils ont commencé à réaliser, très tardivement, que le troisième plus gros distributeur de jeux vidéo au monde était français… mais qu’il n’était pas en France ! Et non par volonté d’expropriation/délocalisation mais simplement parce qu’en France cela fait longtemps qu’ils auraient dû fermer leur porte.

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Lapins crétins, la poule aux oeuf d’or d’Ubisoft

Le système de protection n’est pas surveillé en France. Je ne parle que pour le domaine que je connais. Dans le financement du cinéma français, tout le monde se reconnait à dire « le système est vertueux » dans le sens où il permet à des films qui ne se feraient jamais d’exister. Certes. En revanche, ce serait bien qu’il y ait quelques personnes pour surveiller ce que l’on fait de l’argent dans ce milieu là.

Dans le milieu du cinéma français, il y a des gars qui, depuis maintenant 30 ans, sont devenus de véritables rentiers de l’État, en produisant des films dont ils n’ont rien à foutre, dont ils savent pertinemment qu’ils vont se planter en salles, qui n’intéressent personne. Simplement, ils leurs permettent d’exister auprès des commissions et mener leur train de vie royal. Ces gens là empêchent des tas de projets de voir le jour. Je suis tout à fait pour une aide de l’État, si ce système n’existait pas, le cinéma français aurait périclité depuis longtemps.
En revanche, ce qui me scandalise c’est qu’il ne soit absolument pas surveillé. Encore une fois, pourquoi retrouve-t-on les mêmes auteurs dans les commissions d’avances sur recettes ? : au début vous me parliez d’un système qui allait aider les jeunes réalisateurs, mais quand t’as fait 14 films et que t’as 60 ans, tu n’es pas un jeune réalisateur, faut arrêter les conneries ! Cela crée un système de cooptation, d’entente, etc., c’est scandaleux quand ça se fait au détriment des autres, qui galèrent ou sont obligés de s’exiler aux États-Unis.

Une partie de la grande famille du cinéma français lors des César
Une partie de la grande famille du cinéma français lors des César

J’ai travaillé pendant longtemps pour un magazine spécialisé dans le cinéma fantastique Mad Movies. Pratiquement tous les cinéastes qu’on a vu éclore, je ne veux pas dire de bêtises, je n’en connais qu’un qui a fait tous ses films en France, ils ont tous été obligés d’aller bosser à Hollywood. Et je dis bien « obligés », ils ne voulaient pas. Ils ne voulaient pas sauf qu’à un moment donné on leur fermait tellement les portes en France et elles étaient tellement ouvertes là-bas…

En France, ça rend fou. Je me souviens de ce film qu’on avait adoré et défendu becs et ongles, on était à fond derrière son réalisateur, Florent Emilio Siri, mais le film s’était planté, personne n’en voulait ou n’avait l’air de s’y intéresser. À l’époque du moins. Ce film s’appelait Nid de guêpes (avec Sami Naceri et Nadia Farès, nldr). Comme le film s’était planté et la critique était mauvaise, il était accueilli pratiquement comme un clodo chaque fois qu’il entrait dans une boite de prod’. Il avait d’autres projets mais en gros on lui balançait à la gueule : T’es qui toi ?
Tous les soirs il rentrait chez lui déprimé et son répondeur était bourré de messages venus d’outre espace (rires).

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Florent Emilio Siri et Bruce Willis – Maxppp

C’est-à-dire un truc à rendre schizo’ : c’était Michael Douglas qui l’appelait, c’était Steven Spielberg, c’était John Woo, c’était Bruce Willis, etc. mais en personne, pas leur secrétaire. Ils lui laissaient des messages en disant qu’ils voulaient le rencontrer suite à ce film. Le film avait circulé, ils s’étaient aperçus de quoi il était capable, d’autant plus sur un deuxième film. Imaginez la situation, tu passes toute ta journée à essayer de faire un film à petit budget en France et on te dit : mais t’es qui toi ?, tu rentres chez toi y’a Bruce Willis qui te dit : je voudrais faire un film avec vous. Bon. Au bon d’un moment tu finis par te demander ce qu’il faut faire. Il a fait comme tout le monde, il a pris son billet, il a fait son film avec Bruce Willis (Otage, sorti en 2005) et c’est uniquement après ce film là qu’il a pu revenir en France et dire : Bon, vous me les filez mes 3 centimes que je vous demande depuis des lustres ?

Ce n’est pas très réjouissant pour l’avenir et en même temps cela semble encore très actuel dans le cinéma français.

Dans le cas de Siri on a de la chance, il s’agit de quelqu’un qui est très attaché à la culture européenne et qui veut faire des films ici mais on a failli le perdre et il y en a d’autres qu’on a perdu définitivement. Alexandre Aja (Furia, La colline a des yeux, Piranha 3D, Mirrors ) il est resté à Hollywood, il ne reviendra plus et tant mieux pour lui. Louis Leterrier (Le Transporteur, Danny The Dog, l’Incroyable Hulk, Insaisissables) pareil. Enfin eux, ils se sont installés là-bas. Mais Leterrier pareil…, ça révèle un état d’esprit…

Si à un moment donné on veut faire quelque chose, il faut que ce soit fait intelligemment, tout en sachant qu’il y aura des levées de boucliers parce que des gens bénéficient du système en place. Si tu remets en cause ce système, ils vont se mettre à gueuler. Forcément, ils protègent leurs intérêts, quand tu es rentier depuis 30 ans, tu ne te laisses pas dépouiller aussi facilement. Pour aider il ne faut pas tenter de créer la vague, elle va se créer elle-même. L’idée c’est de faire en sorte que les mécanismes ne l’écrasent pas. De toute façon, ces générations arrivent, mais il y a là un système qui les étouffe.
Il y a un documentaire qui va sortir, aux États-Unis bientôt. En France, on ne sait pas si ca sortira un jour.

Un documentaire français ?

Un documentaire sur un projet Français. Attention, documentaire sur un film français qui ne s’est jamais fait. Un film qui a tellement titillé l’imaginaire de plein de gens à travers le monde qu’ils se sont sentis dans le besoin d’en faire un documentaire.

On n’y tient plus, quel est-il ?

L’adaptation de Dune, que Jodorowsky devait faire en 1973 (Jodorowsky’s Dune), qui est considéré aujourd’hui avec le recul, comme le film qui a initié tout le space opera américain. Ce film ne s’est jamais fait mais c’est par ce film là qu’on a pu avoir ensuite Alien, Blade Runner, Star Wars, etc.
Ce serait intéressant de voir ce qui se dit dans ce doc, les raisons pour lesquelles ce film là ne s’est pas fait.

Quand j’étais gamin et que je lisais les BD des Humanoïdes associés, je me disais : mais c’est fou ! J’ai grandi dans un milieu où l’on m’expliquait régulièrement que la SF n’était pas dans notre culture. Le père de la SF est français (Jules Verne, ndlr) mais sinon ce n’est pas notre culture. D’accord. Et je voyais les BD des Humanoïdes associés et je me disais : c’est complètement dingue, ces mecs qui font des bandes dessinées absolument hallucinantes et on va oser me prétendre que ce n’est pas notre culture. Ben, ces gars-là, d’Humanoïdes associés, ont surtout nourri les anglo-saxons : Jodorowskyi ou autres, tu retrouves leurs pattes dans un film de SF américain sur 2.

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Humanoides associés + photo Metal hurlant n°50 avec Jean Giraud, Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Philippe Manœuvre.

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Dans un autre genre il y a aussi le film Babylone AD de Matthieu Kassovitz, qui lui fut achevé, mais dont un documentaire retraçait les tensions entre la production française et américaine qui ont failli faire planter le film.

Le truc avec Babylone AD ce fut la prétention des producteurs français qui les a amenés à leur perte. En gros, ils se sont dit : on peut le faire. Et là, c’était très prétentieux de leur part. Attendez les gars, il y a des Américains, s’ils vous disent que pour ce final il faut tant d’argent, c’est peut-être qu’ils connaissent leur métier. Donc effectivement les Américains les ont laissé faire : vous voulez le faire, allez-y. Ça a donné la catastrophe que l’on sait. Après, on pourra toujours se réfugier sur le « on n’a pas les mêmes méthodes de tournage ou façon de faire blablabla », la vérité c’est qu’il ne pouvait pas faire le film qu’il voulait avec l’argent qu’ils avaient. Il avait 65-70 millions de dollars et en gros il aurait fallu plus du double pour faire le film qu’il envisageait. Y’a moyen de faire des super trucs à 70 millions mais avec des producteurs incroyablement aguerris.

Les Wachowski (Lana et Andy) ont fait Matrix avec, à peu près, le budget de Babylone AD (environ 65 millions de dollars) mais avec derrière eux Joel Silver, qui avait trois Armes fatales, deux Piège de cristal dans les pattes. Ca faisait 15 ans ou 20 ans que le mec faisait des films d’action et puis les équipes n’étaient pas des équipes d’Europe de l’Est mais des équipes australiennes, qui sont un peu plus professionnelles. Donc il y avait des moyens de faire mais il faut un peu plus d’humilité par rapport à ca. Le documentaire est bien fait mais il donne quand même un peu trop le beau rôle aux Français je trouve.

À suivre page suivante : l’arrivée de Netflix en France, le cinéma français et les majors hollywoodiennes, SF, Alan Moore, lanceurs d’alerte et compagnons du Moyen Age, etc.

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8 commentaires
  1. On ne dit pas “je déteste ce gars” mais “je ne suis pas d’accord avec ce qu’il dit, je ne partage pas son avis, ce qu’il représente ne me plaît pas”. Tu remarqueras mon petit trait d’humour quant au pseudonyme utilisé. Essaie d’être plus mesuré dans tes propos la prochaine fois que tu écris un commentaire irréfléchi, cela te permettra de te comporter avec plus d’élégance et de sagesse. Merci.

  2. Une des rares personnes à défendre et promouvoir la vraie culture populaire en France. Un grand monsieur, ce Rafik Djoumi. Merci à lui.

Les commentaires sont fermés.

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