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Critique : We steal secrets, la vérité sur Wikileaks

Le documentaire d’Alex Gibney (oscar du meilleur documentaire pour Un taxi pour l’enfer) retrace brillamment l’affaire Wikileaks à travers deux destins opposés, celui de Julian Assange…

Le documentaire d’Alex Gibney (oscar du meilleur documentaire pour Un taxi pour l’enfer) retrace brillamment l’affaire Wikileaks à travers deux destins opposés, celui de Julian Assange et du jeune soldat Bradley Manning, et l’intervention de plusieurs protagoniste de l’affaire, de Julian Assange, Daniel Domscheit-Berg au hacker Adrian Lamo en passant par l’ancien directeur de la CIA et de la NSA Michael Hayden ou encore des journalistes et activistes, pour un résultat vertigineux.

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Le documentaire se regarde comme un véritable polar sous pression, bien que la fin soit désormais connue de tous. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de regarder, écouter et de s’interroger encore et encore pour tenter de comprendre et d’appréhender les rouages derrière la machine de guerre. Comment ces deux personnes que tout oppose vont se retrouver liées dans l’une des affaires les plus polémiques du XXIe siècle. Affaire qui n’a pas fini de s’écrire.

Le documentaire dessine donc le portrait de ces deux hommes au cœur de Wikileaks, qui ont permis sa création, son éclosion, son explosion médiatique sur la scène internationale et enfin son implosion. Les différentes interviews apportent une lumière nouvelle sur chaque événement ayant eu lieu dans cette affaire.

Au départ, quand Wikileaks n’en est qu’à ses balbutiements, même après ses premières révélations sur la corruption au Kenya ou un accident nucléaire en Iran, il n’éveille l’attention que de quelques initiés et ne fait trembler personne. Wikileaks donne l’illusion de n’être que la lubie d’un hacker en manque de sensation forte ou de reconnaissance. Assange voulait donner l’impression que Wikileaks était une grande organisation, lui à sa tête, et des milliers de petites fourmis travailleuses à son service, mais la réalité était toute autre. Comme le dira Mark Davis (journaliste et réalisateur) dans le documentaire, « il y avait Assange, son ordinateur portable à 300$, 10 cartes SIM et une veste bon marché qu’il portait lors des interviews ». Après quelques affaires médiatisées, il n’est finalement pris au sérieux, du moins le potentiel nuisible de son site, qu’à partir du moment où il s’attaque à l’Oncle Sam, première puissance mondiale, et sa communication en temps de guerre.

« Notre but est la réforme, notre méthode est la transparence » Julian Assange lors de la divulgation journaux de guerre afghans en 2010

Manning quant à lui est décrit comme un jeune soldat mal dans sa peau, dépassé par les informations qu’il est censé traiter et finalement détruit par l’armée dont la divulgation de ses exactions semble apparaître comme la seule échappatoire à sa condition.
Le documentaire revient largement sur sa vie et son job de soldat sur une base militaire américaine en Irak. Comment a-t-il pu avoir accès à autant de documents, combien ont eu le même privilège, pourquoi traitait-il autant de fichiers sensibles, à quelles fins, y a-t-il eu des manquements de la part du gouvernement américain ?

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En filigrane apparait une nouvelle fois le 11 septembre, catalyseur et générateur de toutes les peurs qui a ensuite servi de prétexte à toute cette débauche sécuritaire de surveillance : il fallait de la main d’œuvre pour récolter, conserver et trier, Manning était l’un d’eux, infime maillon dans une interminable chaîne. Il est intéressant de mettre en parallèle le discours d’Obama sur la NSA prononcé en janvier qui, aujourd’hui encore, justifie ses pratiques à la lumière du traumatisme causé par les attentats commis contre les Twins Towers. Une menace fantôme, invisible mais qui semble perpétuellement planer sur les États-Unis.

« Savoir et partager » sera le nouveau mantra du gouvernement américain à partir du 11.09.

L’un des reproches fait au film, le 5e pouvoir (notre critique), est qu’il ne creusait pas assez certains aspects pourtant indissociables du phénomène Wikileaks, il débutait et s’achevait par la déflagration Manning sans insister davantage, laissant ainsi un sentiment de frustration.
Pourtant, lorsque ces deux destins s’entrechoquent, le retentissement est considérable. Ironie du sort, Manning sera finalement dénoncé aux autorités américaines par un contributeur de Wikileaks à la personnalité assez trouble, le hacker Adrian Lamo.

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De multiples questions se posent alors à Assange mais également aux journaux partenaires avec qui il collabore : faut-il divulguer toutes les informations en leur possession au risque d’enfoncer Manning encore plus et mettre en péril la vie de milliers de personnes citées dans ces documents (des civils afghans pour la plupart) ? S’ils choisissent la divulgation, de quelle manière doit-elle se faire ?

Fait peu connu, Julian Assange demandera l’aide du gouvernement US pour expurger 15 000 documents comprenant le plus grand nombre de noms de sources et collaborateurs de la Coalition avant parution. Le gouvernement américain refusera.
Une fois la machine lancée, plus rien ne l’arrêtera et les conséquences sur les principaux protagonistes deviendront irréversibles. La publication des 15 000 documents accompagnés de 75 000 autres non expurgés sonnera le début de la fin pour Julian Assange. Le chevalier blanc devient alors chevalier noir.
Le documentaire revient intelligemment sur les évènements qui suivront, alternant publication d’époque et interviews des acteurs ayant pris part aux faits : le retour de bâton de la Maison Blanche qui verra Wikileaks mis à l’index et Assange montré du doigt, les poursuites engagées par la Suède pour harcèlement et viol, les révélations sur la guerre en Irak et les exactions des gouvernants égyptiens, tunisien et libyens concourant à l’apparition du printemps arabe.

Au cœur de la tempête, Assange est devenu l’homme à abattre, sans qu’une seule fois les éditeurs et journaux partenaires de Wikileaks ne soient jamais inquiétés ou vilipendés. La sécurité nationale en bandoulière, le gouvernement américain jouera une fois de plus sur la fibre patriotique avec pour mot d’ordre : Wikileaks a du sang sur les mains. Julian Assange choisira par ailleurs de faire front seul, du moins médiatiquement, faisant cause commune entre la dénonciation de Wikileaks et la sienne (dans son affaire de viol en Suède), laissant Manning de côté. À l’un l’ambassade équatorienne (dont le documentaire rappelle que le pays est connu pour être celui qui détient le plus de journalistes en prison. Wikileaks avait notamment dénoncé certains de ses agissements) de Londres, à l’autre la détention en isolement pendant trois ans, le procès militaire et la condamnation.

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La créature que Julian Assange a créée finira par dévorer le créateur et il deviendra, pour beaucoup, une bête traquée, mégalomane et paranoïaque. Il licenciera d’ailleurs son partenaire des débuts, Daniel Domscheit-Berg, pour « déloyauté, insubordination et déstabilisation en temps de crise ».
Cette histoire et ses principaux protagonistes sont beaucoup trop complexes pour en désigner les bons et les méchants et tirer des conclusions définitives. Aucun manichéisme, d’aucune sorte n’est possible. Même si tout semble avoir été dit, cette affaire nourrit encore nombre de questions.

Le documentaire tentant d’y apporter un éclairage nouveau via ceux qui y ont pris part. Il réussit en tout cas parfaitement à nous signifier que rien n’est ce qu’il semble être, même dans une ère de transparence manifeste. Transparence certes, mais quelle vérité fait-elle apparaître ?
Une chose est sure, ces questions ne trouveront peut-être jamais de réponse. D’autant qu’une autre affaire les ont quelque peu éclipsé : l’affaire Snowden.

Un film de Alex Gibney
DVD sorti le 1er avril
Disponible en téléchargement définitif

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