La charge ne provient pas de n’importe qui. Dianne Feinstein est la Président de la Commission du Renseignement du Sénat et à ce titre l’une des personnes les plus importantes et influentes du Congrès. Lors d’une intervention de plus d’une demi-heure, dans l’hémicycle même du Sénat, la sénatrice de Californie, débout et solennelle, a accusé la CIA d’avoir espionné et fouillé les ordinateurs des enquêteurs de la Commission afin d’empêcher la diffusion d’un rapport révélant l’ampleur de l’emploi de la torture contre des personnes soupçonnées d’avoir participé de quelque manière que ce soit aux attentats du 11 septembre et susceptibles de pouvoir localiser Oussama Ben Laden.
À la fin de son allocution, Patrick Leahy, ancien procureur et président de la commission des Affaires Judiciaires, a déclaré à l’assemblée : « En quarante ans au Sénat, j’ai entendu des milliers de discours. Je n’en vois pas un, d’aucun membre d’aucun parti, qui n’ait été aussi important que celui-ci. »
Ravivant les mémoires en rappelant qu’il avait participé, en tant que sénateur, au vote entrainant la création de la Commission Church, censée enquêter sur les dérives éventuelles de la CIA suite au scandale du Watergate, il a proclamé : « Nous sommes censés être la conscience du pays. Dianne Feinstein s’est adressée à notre conscience. »
Outre ces accusations d’espionnage, Dianne Feinstein s’est interrogée sur la possible violation de la Constitution par l’agence de renseignement :
Je suis très inquiète, la fouille de la CIA pourrait bien avoir violé le principe de séparation des pouvoirs incarné dans la Constitution américaine, y compris la liberté d’expression et de débat […] Elle pourrait avoir sapé le cadre constitutionnel essentiel à une tutelle efficace par le Congrès des activités de renseignement ou de toute autre fonction gouvernementale.
L’affaire en question, et sous-jacente à ces accusations, n’est pas récente et remonte aux années Bush fils, alors en pleine guerre contre « l’axe du mal » qui le conduit dans une traque sans relâche de l’ennemi public n°1 d’alors, Oussama Ben Laden.
Les méthodes employées par la CIA durant cette période – de 2002 à 2006 – afin d’arriver à leurs fins ont déjà été décriées par le passé : simulation de noyade (waterboarding), tortures, violation de la Convention de Genève (évoqués dans le film Zero Dark Thirty). Des soupçons, des interrogations, des révélations mais pas d’investigation du Congrès.
En 2009, la Commission du Renseignement ouvre une enquête sur ces faits reprochés. Les investigations se poursuivront jusqu’en 2012. Comme le souligne Le Monde, c’est la destruction, en 2005, par la CIA, des vidéos des séances de waterboarding sur Khaled Cheikh Mohamed, cerveau des attentats du 11 septembre sur le World Trade Center, qui a déclenché la formation de la Commission et l’ouverture d’une enquête.
En effet, à cette époque, le 6 septembre 2006 précisément, ce n’est que quelques heures avant que George W. Bush ne reconnaisse l’existence des prisons secrètes de la CIA hors du territoire américain (où se déroule ce type d’interrogatoire), que le Congrès est tenu informé de l’existence d’un tel programme. Selon Dianne Feinstein, ce programme lui a été présenté de manière beaucoup plus anecdotique qu’il ne l’était vraiment.
Lorsqu’en 2009 les comptes rendus de ces vidéos détruites lui parviennent, elle se rend compte que les conditions de détentions dans les prisons de la CIA telles que l’agence lui avait présenté sont « très différentes et beaucoup plus dures que ce que la CIA avait décrit ». Elle requière plus d’informations, sa demande est approuvée. L’enquête de la commission est lancée.
Pour mener à bien cette investigation, il est alors prévu que les enquêteurs du Sénat, habilités au secret, aient accès à des documents fournis par la CIA et consultables dans un bâtiment sécurisé loué par l’agence aux alentours de Washington. Ils sont ainsi « noyés », selon Mme Feinstein, sous 6,2 millions de documents transmis par la CIA et exploitables sur des ordinateurs avec un réseau informatique dédié (en circuit fermé). Selon l’accord écrit conclu entre la CIA et le Sénat, l’agence ne pouvait pas y avoir accès.
Dès 2010 pourtant, environ 920 pages de documents disparaissent. Après avoir nié, la CIA reconnait son forfait et promet de ne plus recommencer. La Commission achève son rapport en décembre 2012. Un rapport de 6 300 pages surnommé « rapport sur la torture » dont les conclusions tonitruantes n’enchantent guère l’agence de renseignement : les interrogatoires musclés et tortures en tout genre ont été de « terribles erreurs » et n’ont pas prouvé leur efficacité, ni permis de soutirer des informations cruciales quant à la localisation d’Oussama Ben Laden.
En janvier dernier, le directeur de la CIA, John Brennan, informe la Commission que son agence a « fouillé » les ordinateurs sécurisés censés leur être défendus au prétexte que les enquêteurs détiendraient illégalement un rapport interne de la CIA. Ce dernier ayant l’outrecuidance de partager les conclusions de la Commission du Renseignement et d’admettre des « erreurs ». Les documents visés et supprimés en partie concernent le rapport intitulé « Intern Panetta Review » du nom de l’ancien directeur de la CIA, Leon Panetta.
Selon Dianne Feinstein, l’agent dont le nom revient 16 000 fois dans le rapport, Robert Eatinger, aujourd’hui adjoint du service juridique de la CIA, est le même qui a saisi la justice pour la détention supposée illégale desdits documents. Tout cela ne serait que « manœuvre d’intimidation » pour elle, qui a à son tour saisi la justice accusant la CIA d’avoir enfreint la Constitution.
“En dehors des implications constitutionnelles [que la violation de la séparation des pouvoirs engendreraient] les fouilles menées par la CIA pourraient avoir enfreint le quatrième amendement [qui interdit les fouilles et saisies non justifiées], la loi sur les fraudes et les délits informatiques ainsi que le décret 12333, qui interdit à l’agence de mener des fouilles ou des activités de surveillance sur le sol américain.
Interrogé sur ces accusations lors de sa venue au Council on Foreign Relation (Think thank apolitique analysant la politique étrangère américaine et la situation politique mondiale), John Brennan, qui a par deux fois avoué des intrusions de l’agence dans l’enquête de la Commission, a rétorqué :
Nous n’essayions pas de bloquer quoi que ce soit […] La CIA n’espionnait pas, d’aucune façon, la commission du Renseignement. […] Jamais nous ne ferions une chose pareille. Cela dépasse l’entendement.
Les responsables de la CIA ayant ordonné la destruction des vidéos ont été blanchis par la justice après l’arrivée de Barack Obama à la présidence. Comme le précise Courrier International, contrairement aux souhaits des démocrates, Obama ne s’est pas attaqué au programme décrié, mais toujours frappé du sceau du secret, de la CIA, l’ère Bush a été absoute de tous ses forfaits dans un souci d’apaisement. Il semblerait qu’il ne puisse plus fermer les yeux à présent.
Ces accusations ont d’autant plus de poids – outre le fait que Dianne Feinstein est une amie de Barack Obama – que la sénatrice a toujours défendu les agences de renseignements depuis les attentats du 11 septembre. Ce volte-face est donc pris avec sérieux et c’est une véritable bataille qui s’engage entre le Congrès et la CIA. Le rapport de la Commission pourrait être en partie déclassifié et publié ce mois-ci après l’aval de la Maison Blanche selon la Présidente de la Commission. Le président Obama s’y était déjà déclaré favorable.
Il en est un qui boit du petit lait et ironise gentiment sur cette affaire qui secoue la sphère politique américaine : Edward Snowden. Le jeune consultant a réagi à cette polémique sur la chaine NBC News comme nous le rapporte Libération. Parlant d’un « effet Merkel », il étrille le nouveau chevalier blanc de la transparence, Dianne Feinstein, qui « se fiche que les droits de millions de citoyens ordinaires soient violés par nos espions, mais tout d’un coup cela devient un scandale quand un élu découvre que la même chose lui arrive ».
Un peu comme Mark Zuckerberg qui, hier, publie un message sur son compte Facebook dans lequel il s’inquiète du comportement du gouvernement américain en matière de surveillance des internautes. Comportement qui pourrait avoir des conséquences sur la vie privée des membres de son réseau social. Allant même jusqu’à qualifier le gouvernement américain de “menace” pour Internet.
C’est pourquoi je suis surpris et déçu par les comportements maintes fois rapportés du gouvernement américain. Quand nos ingénieurs travaillent sans relâche pour améliorer la sécurité, nous pensons qu’ils le font pour vous protéger des criminels, pas du gouvernement américain. Le gouvernement américain devrait être le champion d’internet, pas une menace.
Si Facebook se met à s’inquièter de la vie privée de ses membres maintenant…
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Faut quand même avoir des baloches grosse comme des pastèques pour s’attaquer frontalement à la CIA ou à la NSA. Un “accident” est si vite arrivé.
Il se passe quoi si tu prends en flag le gars qui est venu effacer les documents ou données ???? XD
Hahaha j’ai pensé la même chose aue Snowden. C’est pas grave quand c’est les citoyens lambdas mais tout d’un coup ça devient grave quand les élus sont eux-mêmes espionnés. “Effet Merkel”, c’est tout à fait ça.
@Error32: c’est une femme, elle n’a donc pas de balloches. Elle a juste un poste haut placé au Sénat qui fait que ça se verrait un peu trop si elle se retrouvait tout d’un coup suicidée de deux balles dans la tête et d’un couteau dans le dos. Par contre, un citoyen lambda qui prendrait un agent de la CIA en flag’ en train de fouiller dans ses affaires se retrouverait sans doute lui-même accusé par des fausses preuves et n’aurait pas de moyen de se défendre, il irait en prison pour le restant de sa vie alors qu’il n’y est pour rien et on n’en parlerait plus.
Si seulement on pouvait se debarasser de tous ces politiques pourris et parasites qui ne servent qu’a nous maintenir en esclavage…
Très bon article 🙂