Pas plus tard qu’il y a encore six ans, même mon prof d’aquagym, Mage de niveau 70 sur Ysondre, vous aurait dit que Blizzard était un studio de développement hors-norme, machine à cash autant que machine à rêves. Aujourd’hui, Sébastien – le prof – est un peu plus hésitant. Il ne joue plus à World of Warcraft (WoW) depuis 1 an, a été déçu par Diablo III (D3) et ne se considère pas au niveau pour trainer son slip sur les ligues de StarCraft II (SCII). Il passe bien quelques-unes de ces soirées sur HearthStone, mais de son propre aveu, il trouve ça abrutissant à la longue.
Diablo, StarCraft, Warcraft… Blizzard compte trois des licences les plus juteuses du monde PC, dont les premiers jalons ont été posés à partir de 1994 pour Warcraft, de 1996 pour Diablo et de 1998 pour StarCraft.
Et depuis ? Rien de vraiment nouveau. 2 Diablo, 2 Warcraft, 1 World of Warcraft et de multiples extensions, ainsi qu’un second StarCraft en 2010.
Vous allez me dire, n’importe quel studio rêverait de posséder une seule de ces licences-là. On est d’accord. Vous allez me dire, plus de 7 millions de joueurs souscrivent encore à un abonnement WoW (chiffres septembre 2013), modèle économique qui semble pourtant antédiluvien en 2014 – mais qui rapporte encore à Blizzard des sommes astronomiques. On est d’accord.
Pourtant, la société californienne doit aujourd’hui faire face à des problématiques qui lui étaient inconnues il y a 10 ans, et les perspectives, au vu de ce qui a été annoncé ces derniers mois, ne poussent pas vraiment à l’optimisme.
– Le couac StarCraft II
On se doutait bien que le descendant du majestueux SC, parangon de la scène électronique en Corée du Sud, aurait besoin d’un peu de temps pour attirer à lui tous les joueurs du premier opus. On se doutait moins que la transition serait si mouvementée et que Blizzard se brouillerait avec la KeSPA – notamment -, ce qui aura eu pour conséquences de contrarier considérablement le déploiement de SC II au pays du sport électronique. En choisissant de tout contrôler et de déposséder les partenaires (associations, organisateurs pro, particuliers, etc.) de ce qu’ils avaient créé (tournois, ligues, stream, etc.), Blizzard s’est tiré une balle dans le pied. Le tout à un moment charnière, celui de la montée du streaming, censée catapulter le sport électronique dans une autre dimension. Bien sûr, SC II s’en tire plutôt pas mal – il est même le dernier et le seul grand RTS médiatisé en 2014 – mais pas autant qu’on aurait pu le croire.
– Le raté DotA
Un grand homme m’a dit à ce propos hier matin : « La hype est partie ailleurs ». C’est assez étonnant qu’un studio aussi malin que Blizzard n’ait pas su se placer sur un créneau, le MOBA, qui s’est démocratisé sur… un de ses propres jeux ! Warcraft III. League of Legends est un projet qui est né dans les studios de Riot en 2006, il y a huit ans, éternité vidéoludique durant laquelle Blizzard s’est perdu entre hésitations et chamailleries (avec Valve, pour les droits du nom DOTA), sans parvenir, en parallèle, à trouver une formule de jeu satisfaisante (à l’image des changements de nom : Blizzard DOTA, Blizzard All-Stars).
Heroes of the Storm sortira probablement en 2014 (en bêta) et si on peut faire confiance aux Américains pour nous avoir concocté un jeu de très bonne tenue, on doute un peu que le retard pris par le studio par rapport à ses concurrents soit rattrapable à court et moyen terme. Surtout, pour la première fois, un autre studio – deux, même – a développé un jeu concurrent conforme aux exigences habituelles de Blizzard, et plus vite. WoW, Diablo et SC ont été les étalons de leur genre respectif, Heroes of the Storm ne le sera probablement pas (si vous voulez voir à quoi ressemble une partie, c’est par ici).
– L’image écornée, Diablo III
D3 s’est extrêmement bien vendu. Plus de 3,5 millions de boites écoulées le premier jour, pour un total de 12 millions à la fin de l’année 2012. Mais de mémoire, à part WoW – pour des raisons différentes, ce n’était pas une suite – aucun jeu n’a été critiqué comme D3. Un peu vite, peut-être. Avec un peu de mauvaise foi, sans doute. Mais tout de même. Il est clair que Blizzard a sous-évalué l’importance cruciale qu’allait tenir l’hôtel des ventes, entité qui a complètement faussé le gameplay du titre. Conscient des problèmes générés par la chose, Blizzard s’apprête d’ailleurs à supprimer l’outil en question, ce sera le 18 mars prochain.
Le second point est plus subjectif, mais le portage de D3 sur consoles – dans un relatif anonymat pour un projet Blizzard – a démystifié un peu « la release made in Blizzard », celle du « jeu événement », celle du jeu que l’on attend tous, par millions, avec impatience, plusieurs mois avant. La presse a certes bien noté le jeu mais n’a pas montré un enthousiasme exacerbé. Heureusement que Reaper of Souls, sur lequel nous avons posé les mains (nos impressions, à cette adresse), se présente bien.
– World of Warcraft, un déclin inévitable ?
Reste le pan MMORPG. Le créneau qui a transformé la machine à rêves en machine à dollars. WoW a phagocyté un genre comme aucun autre jeu ne l’avait fait avant lui, écrasant les concurrents sans même sourciller, culminant de nombreuses années au-dessus des 10 millions d’abonnés – payants ! 10 ans après sa sortie, assez logiquement, WoW s’essouffle, et son affluence s’érode lentement mais surement. Blizzard n’a pas été chiche en extensions, a sans cesse essayé de dynamiser le jeu, de le rendre plus accessible pour capter de nouveaux publics aussi, mais on ne peut pas lutter indéfiniment contre l’usure du temps. L’extension Warlords of Draenor, annoncée en novembre dernier, aidera sans doute WoW à respirer un peu mieux pendant quelque temps, mais il n’infléchira pas durablement sur la courbe de vie du malade.
– Quelle stratégie pour les prochaines années ?
J’ai un peu de peine à savoir qu’en ce moment, le titre qui semble porter Blizzard – médiatiquement du moins – est le jeu de cartes HearthStone, qui, sans remettre en cause ses qualités (nos impressions ici), reste un projet mineur par rapport aux autres.
J’ai un peu de peine à savoir, ou plutôt à ne pas savoir ce que bidouille le studio avec le prétendu projet Titan, dont on ne sait rien hormis que le projet est rebooté tous les 12 du mois.
Blizzard priorise aujourd’hui les petits projets moins risqués basés sur du micro-paiement, s’accorde un portage, suit les tendances plus qu’il ne les crée.
Loin de nous l’idée de dresser un portrait cataclysmique de Blizzard, qui n’est pas une société en détresse, ce n’est même pas le propos de ce papier. Blizzard perdurera parce que ses jeux, quels qu’ils soient, ont toujours un grand succès, et parce que WoW rapporte encore beaucoup. Néanmoins, il me semble que le studio américain a viscéralement besoin d’un projet ambitieux comme WoW a pu l’être, un projet qui, s’il ne réinvente pas la poudre, redéfinisse au moins les codes et les standards de tout un genre.
Il en va de son organisation de travail autant que de l’image sublimée que le développeur a mis une décennie à tisser, et qui lui permet aujourd’hui de prendre le temps qu’il désire pour développer puis sortir un jeu.
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