Inspiré de faits réels
Un film sur WikiLeaks. L’entreprise peut paraitre périlleuse pour une histoire aussi dense et complexe d’autant plus lorsqu’elle reste d’actualité (Julian Assange est toujours réfugié à l’Ambassade d’Équateur à Londres). Le film s’attache à suivre l’émergence du site WikiLeaks à travers la relation d’amitié entre les deux personnes au cœur de son ascension : Julian Assange et Daniel Domscheit-Berg. De leur rencontre en 2007 à leur rupture fracassante en 2010, peu de temps après le début de l’affaire Manning.
Lorsqu’ils se rencontrent en 2007, WikiLeaks est alors en ligne et a déjà quelques scoop à son actif (corruption au Kenya, accident nucléaire en Iran, etc.). Il n’est alors qu’un site internet qui a pour vocation de publier des informations secrètes concernant n’importe quel gouvernement tout en garantissant l’anonymat et la protection de ses sources. Ils s’associent autour d’un projet, d’une envie commune. Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net, résume la philosophie d’Assange comme telle dans une interview pour Ragemag : « le fondement philosophique de Wikileaks théorisé par Julian en 2006, [prétend que] lorsque des gouvernements se cachent derrière le secret pour mentir ou commettre des crimes, à ce moment-là, exposer ces secrets ajoute de l’inertie. Leur culture du secret les conduit à une nature paranoïaque, mais on augmente le niveau de paranoïa pour les forcer à l’inertie. »
Des dires même du réalisateur, Bill Condon (Chicago, Ni dieux ni démons, Dreamgirls) ce film n’est pas un documentaire ou un récit historique mais l’expression d’un point de vue sur une série d’événements. Une fiction qui se veut au plus près de la réalité. À cette fin, Josh Singer, le scénariste (Fringe, À la Maison Blanche, Lie to me) a réalisé un véritable travail d’investigation : des recherches sur le passé d’Assange aux rencontres avec nombres d’acteurs de l’affaire pour approcher au plus près des faits. Une grande partie du scénario se base d’ailleurs sur deux livres : Inside Wikileaks : dans les coulisses du site Internet le plus dangereux du monde de Daniel Berg et WikiLeaks : Inside Julian Assange’s war on secrecy de David Leigh et Luke Harding, tous deux journalistes au Guardian.
On peut naturellement supposer que leur vision est subjective sur ce personnage aussi énigmatique qu’Assange et les événements vécus. C’est d’ailleurs assez perceptible dans le film où l’on oscille entre comprendre le désir absolu de vérité et de transparence d’Assange – en dénonçant les exactions des gouvernements et des grands de ce monde (banques, multinationales, etc.) – et saisir la peur et la réflexion de Berg (joué par Daniel Brühl, Rush, Two days in New York, Inglorious Basterds) qui a l’impression de voir un monstre naître sous ses yeux. Monstre qu’il a finalement encouragé à s’épanouir.
Le personnage de Julian Assange, brillamment interprété par Benedict Cumberbatch (Sherlock, The Hobbit 1 et 2, Star Trek Into Darkness), reflète bien cette ambivalence. Le personnage et la personne de Julian Assange mettent mal à l’aise en ce qu’il est mouvant, étrange, secret et résolument insaisissable. Pour quelqu’un qui se veut le chantre de la transparence il n’hésite pas à mentir pour faire éclore sa vérité (sur la composition de WikiLeaks et l’origine de cette couleur de cheveux glaciale notamment).
Vertige des révélations
Le film débute et se clôt sur l’arrestation du soldat Bradley Manning. Ce qui parait assez naturel quand on comprend que cette affaire représente un avant et un après pour Wikileaks et ses fondateurs. En 2010, les révélations qu’il a permis restent la plus grande divulgation de documents militaires et diplomatiques confidentiels à ce jour. La déflagration est retentissante. L’importance des révélations et la taille des données en main sont considérables. Moyens de communication et information sont liés. Cette démesure de communication se perçoit à l’écran via une mise en scène vertigineuse où ce dernier se voit inondé de requêtes : Wikileaks, Internet, sms, tweets, messagerie cryptée, lignes de code, écrans télé apparaissent en même temps que le monde prend connaissance de ce qui deviendra l’affaire Manning. On ne sait plus où regarder, perdu au milieu d’un flot d’informations. L’importance des moyens de communication se révèle considérable pour Assange et Berg dans les meilleurs moments mais également dans les pires lorsqu’ils se/les retourneront contre eux.
L’affaire Manning aura d’ailleurs raison de leur amitié et de leur collaboration tiraillés entre un désir d’absolu vérité et un nécessaire devoir d’information.
Diplomatie ou transparence ? Vérité ou information ?
Le cinquième pouvoir se révèle être un thriller politique et journalistique sidérant qui force à s’interroger. Il semble être un prétexte à soulever des questions fondamentales nées de l’existence de WikiLeaks et ses révélations. Le film n’est pas tant une biographie de Julian Assange ou une genèse de Wikileaks qu’une interrogation sur la société d’aujourd’hui telle que nous la connaissions, et que le site, par ses publications, a contribué à bouleverser. De quelle société avons-nous hérité ? Quel genre de société désirons-nous, une société d’informations, de vérité, de transparence ? Et quel est le prix à payer pour cela ?
Dans cette quête de transparence et de vérité, Assange et Berg sont perpétuellement en contact avec les journalistes ayant permis la publication des différentes révélations parues sur WikiLeaks (Der Spiegel, The Guardian, New York Times et Le Monde à partir de 2010). Leur but semble le même : la course à l’information et la publication coûte que coûte. Pourtant, ce film sert aussi à mettre en lumière le passage de relai entre le 4e pouvoir représenté par la presse traditionnelle et le cinquième pouvoir symbolisé par le journalisme citoyen à l’ère numérique et dont WikiLeaks est le porte-drapeau retentissant. Là où WikiLeaks a réussi à supplanter voire à dépasser les médias traditionnels (récolte de scoop, instantanéité de l’information, besoin de peu de ressources pour obtenir des résultats), il n’a pas réussi à transformer certaines de ses révélations en information.
Une vérité dénuée de contexte, illisible, inabordable, n’apporte rien, est indéchiffrable et finalement ne fournit aucune information pour qui ne sait pas la lire. En publiant des câbles diplomatiques non expurgés en livrant nom, prénom, coordonnées de certaines personnes dont des sources – quand bien même elles fournissent des renseignements à un gouvernement qui se rend coupable d’actes à la limite de la légalité – WikiLeaks ne franchit-il pas une ligne rouge ? La vérité, vaut-elle la mise en danger de personnes innocentes. Ce choix entre idéal et réalité se révèlera crucial dans la collaboration entre Berg et Assange. D’autant qu’il était primordial pour Assange de protéger les sources de Wikileaks des conséquences de leurs publications. Mais qu’en est-il des autres ?
Comme Julian Assange aime à le souligner lui-même lorsque les États-Unis l’accuse d’avoir mis en danger des innocents et potentiellement crée un foutoir diplomatique générateur de graves conséquences, le hacker n’hésite pas à dire qu’à ce jour aucun document, aucune information ne le prouve. Quand bien même cette information existerait (dans un cas comme dans l’autre), l’un ou l’autre camp aurait-il avantage à la divulguer ?
Au sortir du film, Manning, Swartz, Snowden, Harmond, seront des noms qui se rappelleront à vous d’une autre manière. Dans cette interview à Ragemag, Jérémie Zimmermann déclarait : « Edward Snowden a changé le monde », bien avant, WikiLeaks a permis cela. Pour quels résultats ? Ces whistleblower sont perçus via le prisme d’une même pièce aux deux faces antinomiques : héros ou traitre ?
Ce film, qu’Assange a qualifié lui-même de « festival d’ennui gériatrique que seul le gouvernement américain saura apprécier » (Il appréciera), ne vous permettra peut-être pas de vous forger une opinion fixe et définitive mais vous poussera certainement à vous interroger (PRISM étant également passé par là) sur les enjeux cachés et dévoilés de ce monde. Rien que pour ça, c’est un film à aller voir.
Dans les salles, le 4 décembre.
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“Ces whistleblower sont perçus via le PRISM d’une même pièce aux deux faces antinomiques : héros ou traitre ?” 🙂
Il est où le TL;DR ?
Très bon article 🙂 bravo.
Je veux pas dire mais ça pu le film influencé par les différents lobbies anti Wikileaks..
C’est fou qu’on puisse cracher à la gueule d’un mec en lui pondant un film de superproduction à la tronche. Sont sans limite ces ricains… Pis cette truie d’Olga qui incarne Assange, me fait tanguer entre moquerie et /vomir.