Il aura fallu cinq mois de travaux et dix-sept auditions pour le groupe de travail sur le jeu vidéo, créé par les commissions de la culture et des affaires économiques du Sénat, pour comprendre la situation actuelle du jeu vidéo en France. Le constat est assez prévisible : c’est le bazar.
Non seulement le marché du jeu vidéo de manière générale est un marché atypique, qui ne fonctionne pas selon les mêmes règles que d’autres secteurs, mais il est également ultra-concurrentiel, localement et surtout globalement. Sur les 100 pages du rapport, il y en a au moins une bonne soixantaine consacrée à la contextualisation. Il fallait au moins ça.
L’approche de ce groupe de travail est d’ailleurs assez bonne et le diagnostic des symptômes du secteur en France est bien ciblé. Le secteur est composé d’un côté de très grosses entreprises qui se portent bien (comme Ubisoft et Gameloft) et de l’autre de TPE et PME qui, elles, vivent une situation beaucoup plus tendue.
La fiscalité française n’est pas particulièrement tendre avec le jeu vidéo sans être particulièrement hostile. En réalité, les démarches pour obtenir les différentes aides disponibles comme le Fonds d’Aide au Jeu Vidéo (FAJV) ou le crédit d’impôt à l’innovation sont bien trop complexes pour être vraiment efficace. La jungle administrative que représentent toutes ces aides à l’investissement pénalise les PME, mais surtout les TPE de ce secteur. Ces petites structures qui possèdent 9 salariés ou moins représentent près de la moitié des entreprises du jeu vidéo aujourd’hui. Il en découle une fuite des cerveaux vers les territoires qui possèdent une fiscalité plus attractive comme l’Ontario et le Québec.
Il s’agit là des problèmes les plus importants que rencontrent les entreprises du jeu vidéo en France, du moins quand elles ne s’appellent pas Ubisoft ou Activision-Blizzard (dont la vente par Vivendi est en cours). La commission propose ainsi plusieurs solutions pour aider le jeu vidéo français.
- Mise en place d’une plateforme nationale d’achat de jeux dématérialisés
Comprenez un Steam, public, à la française qui “plutôt que de ne « pousser » que des « hits AAA »” mettrait en avant “des jeux originaux, diversifiés et innovants, donnant ainsi une véritable chance à leurs concepteurs et diffuseurs“. La commission prise par cette nouvelle plateforme serait plus légère (5 à 10 % contre les 30 % moyens sur les autres plateformes de ventes dématérialisées) et “sans obstacle à l’entrée“. Elle serait aussi ouverte à tous, y compris aux marchés étrangers.
Cette proposition semble quelque peu fantaisiste et francocentrée. Ce qui est étonnant, c’est qu’un peu plus tôt dans le rapport est clairement précisé que la majorité des revenus générés par la vente des jeux vidéo français viennent bel et bien de l’étranger. J’imagine mal qu’une telle initiative puisse avoir la moindre influence sur la mise en avant des jeux français dans le monde. De plus, lutter contre l’hégémonie de Steam semble purement impossible. Il serait certainement plus efficace d’essayer de mettre en avant les jeux directement sur Steam. Multiplier, par exemple, les initiatives comme “Games from Paris” serait à mon sens une meilleure idée.
- Mise en place de nouveaux outils de financement et optimisation de ceux existants
De nouveaux moyens de financements sur fonds propres sont nécessaires. Ces nouveaux outils devront puiser dans différentes aides gouvernementales, comme l’enveloppe de 10 milliards d’euros d’aide promis par Jean-Marc Ayrault pour “stimuler le potentiel de croissance de la France au cours des dix prochaines années“. Le secteur du jeu vidéo étant un secteur encore porteur dans son ensemble – d’après le rapport, la croissance du marché global devrait de nouveau être à deux chiffres d’ici l’année prochaine – cette enveloppe semble tout à fait correspondre aux critères énoncés par Matignon. Le rapport propose également de piocher ces aides dans le programme des investissements d’avenir.
Autre moyen d’aider le secteur en France, une taxe sur la vente des jeux en boîte. Le rapport précise bien que ce prélèvement ne devra pas être exubérant et rester de l’ordre de quelques centimes par jeux. Maintenant, savoir qui des éditeurs, des distributeurs ou des consommateurs payera cette différence relève encore de la spéculation. Cependant, le fait qu’elle reste modeste a certainement été pensé pour qu’elle puisse être épongée par l’industrie.
Enfin, les aides déjà existantes seront simplifiées, tant dans les démarches que dans les conditions d’obtention. Aujourd’hui, les studios les plus modestes n’obtiennent pas certaines aides, car ils n’atteignent pas un certain seuil d’investissement dans leurs projets. Une meilleure accessibilité à ces aides sera évidemment bienvenue. Les petits studios étant les plus touchés par la conjoncture, une simplification de cette jungle d’aides permettra de donner une bouffée d’air. La proposition d’un “guichet unique” est ainsi une excellente idée.
Bien sûr, toutes ces conclusions sont pour l’instant au stade de la proposition. Nous pourrons voir dans les prochains mois ce que le gouvernement et les parlementaires en feront. En effet, des mesures comme la taxe à l’achat ne seront pas vraiment compatibles avec la fameuse “pause fiscale” annoncée dans les médias. De leurs côtés, Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin, respectivement ministre de la Culture et ministre déléguée au Numérique rendront bientôt, à leur tour, les conclusions d’une mission gouvernementale lancée en avril dernier sur le jeu vidéo.
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