Ces dernières années sont sortis des jeux, souvent indépendants, qui semblent bénéficier d’une durée de vie particulièrement impressionnante quand bien même leur contenu intrinsèque n’est pas si grand que ça. Les plus connus sont Don’t Starve, Minecraft, The Binding of Isaac, Spelunky, mais il en existe d’autres, moins connus, comme Dungeons of Dredmor ou bien Uplink.
Qu’est-ce qu’ils ont donc en commun, ces jeux ? Qu’est-ce qui leur confère une telle richesse sur le très long terme ?
Un petit tour par une classification générale des caractéristiques d’un jeu
Tout d’abord, essayons de comprendre à quels types de jeux nous avons affaire, en nous servant de la typologie de Roger Caillois, grand penseur des jeux. Caillois a classé les jeux (tous les jeux, pas seulement les jeux vidéo) dans 4 grandes catégories.
- Agon
Y sont compris les jeux qui créent les conditions idéales à la mise à l’épreuve d’une compétence en particulier (force, rapidité, intelligence, etc.)
La course à pied ou les échecs en sont de bons exemples.
- Alea
Il s’agit du hasard, du facteur aléatoire. Celui qui met tout le monde sur le même pied d’égalité et qui rend l’issue absolument imprévisible.
“Pile ou face” et la loterie utilisent l’alea.
- Mimicry
C’est la caractéristique qui nous fait nous projeter dans un contexte imaginaire, qui nous fait prendre le rôle d’un autre, avec ou sans artifices pour y parvenir.
La très grande majorité des jeux de rôles donnent une grande importance au mimicry dans leur fonctionnement.
- Ilinx
Les sensations fortes, ce que l’on peut ressentir de fort dans un jeu en étant impressionné, souvent en impliquant fortement ses sens et son corps.
La balançoire et les sports extrêmes sont de bons exemples de jeux utilisant l’ilinx.
Cette classification est plutôt efficace. Elle ne fonctionne cependant qu’avec les jeux très simples. Aujourd’hui, on peut affirmer que les jeux vidéo, bien plus complexes que le simple jeu de dés, comprennent chacun une part plus ou moins importante des caractéristiques suscitées.
La tête et les jambes
Ces quatre jeux qui nous intéressent ont tous une forte part d’agon. Mais alors, quelle caractéristique humaine en particulier les jeux The Binding of Isaac, Don’t Starve, Spelunky et Minecraft mettent-ils à l’épreuve ?
La dextérité ? C’est certainement le cas pour The Binding of Isaac et Spelunky qui demandent une bonne gestion de ses déplacements, notamment. Toutefois, peut-on vraiment parler de dextérité dans Minecraft et dans Don’t Starve ? Il y en a un peu, mais ce n’est pas la première qualité requise. Non, dans ces titres, on fera davantage appel à votre connaissance des rouages parfois retors du jeu.
Et nous tenons peut-être un des points communs à ces quatre jeux. Ils demandent tous une maîtrise encyclopédique du jeu plus ou moins équivalente à la maîtrise physique de nos petits doigts. Cela rend ces jeux intéressants, car les joueurs à la conquête de perfection devront se soumettre à deux apprentissages qui se complètent et, parfois, se compensent.
Il est même possible pour ces jeux de conceptualiser une double courbe de progression ! En effet, lorsqu’on cherche à mesurer dans le temps l’évolution du niveau d’un joueur lambda sur un jeu en particulier, on parle de courbe de progression. Dans la plupart des jeux, et particulièrement dans ceux offrant des possibilités de compétition entre les joueurs, on parle de la courbe de progression comme si elle était unique. Même si elle est en réalité composite, la conceptualiser de cette façon permet de visualiser les difficultés d’apprentissage d’un jeu, surtout à haut niveau. Il est ainsi plus facile de repérer les moments où la maîtrise devient plus difficile ou bien, au contraire, plus facile.
Mais dans nos quatre jeux, les choses ne se passent pas ainsi. Il convient de faire améliorer deux capacités bien distinctes et indépendantes. Le joueur qui souhaite maîtriser un de ces jeux devra ainsi augmenter sa capacité à maîtriser ses doigts, ses déplacements et ses attaques, mais également compléter cet entraînement par l’étude scrupuleuse de toutes les règles qui gouvernent le jeu.
Il ne sera pas rare de voir un très bon joueur de shoot them up démuni devant une partie de The Binding of Isaac. Il saura peut-être éviter naturellement les projectiles, mais il sera handicapé par une mauvaise optimisation des ressources à sa disposition s’il ne se penche pas sérieusement sur un wiki du jeu.
Le facteur aléatoire n’est pas utilisé au petit bonheur la chance
Mais il y a une autre caractéristique qui s’applique à ces quatre jeux. Et il faudra se pencher sur l’utilisation que ces jeux font de l’alea pour comprendre ce qui les distingue des autres.
Le facteur chance apparaît dans de nombreux jeux sans que ça les rende particulièrement exceptionnels. On peut citer par exemple les coups critiques dans les RPG ou les différentes probabilités de loot dans les hack and slash. La chance, dans ces cas-là, joue simplement le rôle d’une variable d’ajustement et n’influe que de manière superficielle sur le jeu.
Maintenant, demandez-vous quelle place prend l’alea dans un jeu comme The Binding of Isaac. Elle est gigantesque et intégrée dans le cœur même du système de jeu. Disposition des pièces, puissance des boss, équipement que l’on trouve… Tout est généré au début de chaque partie de manière différente par rapport à la session précédente. Le jeu est ainsi imprévisible.
Pourtant le joueur ne navigue pas à vue. Car chaque facteur aléatoire du jeu répond malgré tout à des règles strictes. Par exemple, toujours dans The Binding of Isaac, la salle cachée est toujours placée aléatoirement, mais elle est aussi toujours contingente à au moins deux autres salles. Le joueur avisé de TBoI saura alors que s’il n’a qu’une seule bombe à sa disposition pour tenter de dénicher le mur qui cédera à la déflagration, il devra la placer intelligemment pour assurer un minimum de résultats à cette tentative. L’optimisation dans un tel cas consisterait à utiliser une seule et même bombe pour tenter de trouver la salle cachée tout en dégageant un coffre bloqué par des rochers par exemple.
Le joueur n’est ainsi pas noyé dans une mer de facteurs totalement aléatoires. L’alea répond à des règles, à des lois, comme une science, ce qui permet aux joueurs les plus chevronnés de créer des guides stratégiques ou des wikis afin d’optimiser les chances d’obtenir le résultat escompté dans le jeu.
C’est grâce à des statistiques que les joueurs de Minecraft ont pu déterminer que les minerais de diamants, si précieux dans le jeu, ont la plus grande probabilité d’être dénichés à hauteur de 8 à 12 blocs au-dessus de la limite inférieure du monde.
On se rend alors compte qu’une bonne dose d’aléatoire qui respecte certaines logiques et certaines probabilités peuvent considérablement enrichir un jeu et faire en sorte que chaque partie d’un jeu soit à chaque fois différente.
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Récapitulons. Les deux principaux points communs entre ces jeux que sont Spelunky, The Binding of Isaac, Minecraft et Don’t Starve sont :
– L’importance partagée de l’exécution et du savoir encyclopédique du jeu au sein de l’agon.
– L’intégration de l’alea, en respectant certains principes, qui résulteront en des situations partiellement prévisibles qui obligeront les joueurs à s’adapter.
Ces deux caractéristiques donnent ainsi des jeux où le joueur doit adapter son style de jeu à chaque partie. Le mot d’adaptabilité n’est pas très joli, mais il correspond bien à ce que ces titres ont à offrir. Nous sommes devant de vrais jeux d’adaptabilité.
Voilà le secret de ces quatre jeux. S’ils nous scotchent d’aussi longues heures à l’écran, c’est tout simplement parce que leur conception est remarquable. Leur éventuelle beauté graphique ou profondeur de scénario ne gâchent rien, mais ils ne jouent pas un grand rôle. Ainsi, et même lors d’une partie en solo, ils offrent assez de variation entre chaque partie pour nous donner l’envie d’y retourner, encore, et encore, et encore.
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