Ça a fait un peu polémique dans la presse il y a quelques semaines. Jean-Maxime Moris, votre directeur créatif, a dit que les éditeurs n’étaient pas chauds pour travailler sur des jeux qui sont construits autour d’un personnage féminin. Ça ne ferait pas vendre.
O.G. : C’est un peu une polémique en ce moment, oui. Au tout départ, vraiment au tout tout départ, le concept de Remember Me, c’est un homme d’une quarantaine d’années, dans un univers contemporain. Les premières idées qu’on a échangées avec Hervé (Bonin, directeur de production), puis avec Alexis (Briclot, directeur artistique) et Jean-Max aussi, se portaient plus sur un univers polar contemporain. Mais très vite, on s’est rendu compte que cette dimension technologique plus avancée, avec le Sensen, la réflexion sur la mémoire, ça ne collait pas avec le setting du contemporain. Ça aurait été dissonant, on n’aurait pas vraiment compris.
Le personnage féminin est apparu quand il s’agissait effectivement de… Je ne vais pas révéler trop du jeu mais la narration est extrêmement importante, il y a une problématique familiale autour du personnage principal, et au départ du jeu, Nilin ne sait rien, il faut qu’elle se découvre, qu’elle découvre sa famille et puis, elle sauve le monde à la fin. Ou pas. Cette idée de progression nous semblait beaucoup plus naturelle avec un personnage féminin. Et pas du tout pour ses attraits physiques, plutôt parce que la psychologie du personnage nous semblait plus adaptée à un personnage féminin.
Après, on a eu des longues discussions avec les éditeurs sur la figure féminine. Bon, il y a Lara Croft qui se vend super bien mais les autres ? Y a quelques exemples mais c’est vrai que l’on se pose toujours la question : un jeu qui a comme personnage principal une femme va-t-il se vendre ? Moi je pense que la vraie question est plutôt : qu’est-ce qui fait qu’un personnage est bon ou mauvais, indépendamment de son genre ? Et c’est ça qu’on a essayé de faire passer aux éditeurs. Alors on a été aidé en ça par Pixar, par exemple, qui a mis un personnage féminin au centre de son dernier film (Rebelle, 2012). On a surtout essayé de dresser une grille de critères avec notre éditeur – est-ce que notre héros est suffisamment charismatique, est-ce qu’il nous emmène, est-ce qu’il est positif, est-ce qu’il est négatif, est-ce qu’il est beau, pas beau, enfin, etc. – qui a fait que finalement, on était convaincu que c’était la bonne option à prendre.
Mais on peut aussi se dire qu’avoir un personnage féminin, dans un média où la plupart des personnages sont masculins, c’est une autre façon de se différencier. Remember Me, c’est le jeu avec Nilin. Si on avait créé un énième homme à capuche, je ne suis pas sûr que ça se verrait autant.
Avoir Alain Damasio dans votre équipe pour travailler sur l’univers, c’est un sacré gage de qualité. C’est se donner les moyens de ses ambitions, non ?
O.G. : Oui, mais c’était vraiment aussi le type de jeu qu’on voulait développer. On voulait un jeu d’action/aventure, et il fallait que la narration soit forte parce qu’on savait que le créneau était très concurrentiel. On savait que l’on devait intéresser le joueur, que ça devait être fort, cohérent, avec des twists. Donc on a bossé avec Alain Damasio, qui a ensuite carrément embauché un pool de scénaristes. Ils étaient 7, ils cherchaient des idées, et c’est à ce moment aussi que Stéphane Beauverger (écrivain de SF) nous a rejoints. Ils ont écrit 900 pages de bible narrative sur l’univers je crois, sur l’histoire, sur la famille, hallucinant !
On a l’impression que vous avez trouvé un bon équilibre entre le jeu à gros budget, dans la réalisation ou la mise en scène, et certains jeux plus petits, un peu du jeu d’auteur où on trouve de la sensibilité, de la finesse…
O.G. : L’idée c’était de se dire… imaginons un jeu à plusieurs niveaux, plusieurs couches. Faire un truc pour un adolescent américain qui a envie de prendre une manette et de s’éclater, de taper des robots, d’avoir du « Hollywood »… OK, on en fait. Et au dessus de ça, vouloir proposer une couche de choses qui font réfléchir, une réflexion sur les réseaux sociaux, et où ils pourraient nous ramener, et qu’est-ce que ça pourrait donner ? En plus de ça, je tiens beaucoup à cette histoire familiale, c’est universel, c’est une histoire que l’on pourrait peut-être raconter dans un autre cadre, ça parle aux gens. Comment les rapports père-fille, mère-fille, parents, adultes, comment tout ça peut influer sur sa réussite personnelle…
Alain (Damasio), quand tu lis ses bouquins, c’est moins des bouquins de SF que des bouquins de philo, c’est quelqu’un qui aime ça, et je pense que ça se sent aussi dans Remember Me, même si parfois il est un peu désespéré et il aurait aimé que ce soit beaucoup plus compliqué… Mais on ne peut pas être trop cérébraux non plus, il faut que ça reste un jeu ! Le truc, c’est d’obtenir l’équilibre qui te permet de sentir qu’il y a quelque chose derrière, que si tu réfléchis tu te dis : « Ah ouais, quand même, c’est intéressant », mais que ça reste fun, que tu t’éclates quand même à taper des robots !
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