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Chronique : Pourquoi les jeux vidéo sont-ils mal traduits ?

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Les chroniques du Journal du Gamer invitent régulièrement des personnalités à réfléchir sur l’actualité du jeu vidéo. Cette semaine, Mars, journaliste, traductrice, et testeuse en localisation…

Les chroniques du Journal du Gamer invitent régulièrement des personnalités à réfléchir sur l’actualité du jeu vidéo. Cette semaine, Mars, journaliste, traductrice, et testeuse en localisation profite de la sortie du portage PC de Final Fantasy VII pour se pencher sur un sujet méconnu des gamers : la localisation. Pourquoi les traductions de jeux vidéo sont-elles parfois aussi mauvaises ? Réponses d’une insider

Personne ne l’a oubliée, personne ne peut l’oublier : la localisation de Final Fantasy VII, ce cauchemar du fan, cette honte du métier. Même chez Square Enix, quand on évoquait la question, on nous répondait d’un air navré « C’est pas nous, on fait tout pour que ça ne se reproduise plus. »
Aujourd’hui encore, peu de personnes s’expliquent ce raté.

C’est un processus bien méconnu que la localisation, que ça soit par le monde entier ou bien par les joueurs (Oui même toi là au fond qui essaie d’ouvrir wikipedia en douce, je te surveille. Lamb voit tout). D’ailleurs quand on annonce à des amis l’intitulé de notre poste, on ne rencontre que perplexité et incompréhension.

« Je suis testeur de localisation. – Tu fais quoi au juste ? – je m’assure que la localisation du jeu est bien faite. – la quoi ? »

La localisation, qu’est-ce que c’est ?

C’est le nom donné aux étapes de la création d’un jeu vidéo, pendant lesquelles le jeu est adapté dans chacune des langues des pays où il sera commercialisé, du turc au polonais en passant par le finnois. Quand cela est possible, tout le contenu du jeu doit être localisé, que ça soit les dialogues, les menus ou bien les didacticiels, j’en passe et des meilleures, et ce, afin que toi, joueur, tu aies accès à toutes les informations nécessaires pour jouer et surtout pour que tu apprécies le scénario (quand il y en a un) et l’univers du jeu (il y en a toujours au moins un peu).

En premier, il faut donc traduire le jeu.

Traduire tout le monde sait ce que c’est, pas besoin de vous faire un dessin (ou d’ouvrir wikipedia, si tu vois ce que je veux dire toi là-bas…)

Traduire, ça a l’air simple. Tous ceux qui parlent un peu anglais, voire japonais, pensent qu’ils sont capables de traduire n’importe quoi, sous prétexte qu’ils savent que weapon veut dire « arme » et que beach volley, ça veut dire « beach volley » ou mieux, parce qu’ils comprennent Wesker quand il dit que c’est le plus fort et qu’il va en finir avec toi une bonne fois pour toutes ! Si on doit comprendre pour traduire, on peut comprendre sans être capable de traduire, et on peut tromper mille fois une personne, non attendez…

En bref, comprendre et traduire sont deux exercices tout à fait différents. L’un demande une maîtrise de la langue-source, celle dans laquelle est réalisé le jeu, l’autre demande à la fois la maîtrise de la langue source et de la langue-cible (dans notre cas, le français). En gros, si on sait mal écrire le français et qu’on n’a pas de vocabulaire, on peut comprendre mais on ne peut pas traduire. Ici, le mot important est « maîtrise ». Il est normalement interdit de traduire dans une langue qui n’est pas la sienne, car il ne s’agit pas que de mettre un mot français à la place d’un mot anglais, il faut encore choisir la nuance que l’on veut y mettre, l’impression que l’on veut transcrire,… Il faut adapter et pour adapter, il faut être capable d’utiliser à bon escient les nuances d’une langue, ce qui prend des années et ne s’apprend pas dans les livres ou dans un dictionnaire.

Ensuite, il faut enregistrer les voix du jeu et enfin, les testeurs de localisation revoient le texte et s’assurent que tout est à sa place.
Découvrons ensemble (et sans wikipedia toi là-bas) deux exemples plus approfondis de métiers du jeu vidéo.

Cas n°1 : Raoul.

Raoul est traducteur freelance de jeux vidéo. Raoul attend du travail derrière son pc, tous les jours. Raoul aime son travail, il aime trouver les bons mots, les bonnes phrases et faire du bon français. Raoul traduit, et il traduit bien. Raoul est en compétition avec des traducteurs automatiques, qui n’ont pas besoin de manger, de dormir ou de payer leur loyer et avec des apprentis traducteurs qui parlent trois mots d’anglais, cinq de français et qui pratiquent des tarifs qui tuent la concurrence.

Un lundi au soleil, Raoul reçoit un mail de son agence de traduction qui lui dit « J’ai un projet de 50.000 mots, est-ce que tu es dispo ? » Raoul répond « Oui ! » car Raoul a envie de travailler. Il prépare son coin pc, va faire bouillir de l’eau, ouvre ses onglets de dictionnaires et attend sagement derrière son pc, en calculant ce que vont pouvoir lui rapporter ces 50.000 mots, qu’il facture à 0,05€ le mot, je pose 2 je retiens 3 et quand même, ça fait 2500€ !

Réponse de l’agence : On a les délais, c’est pour la semaine prochaine, on va donc être obligés de couper le fichier, tu ne feras que 10.000, ça te va ? Et essaie de faire au mieux, avec ces délais, on ne peut pas avoir de relecteur.
Raoul esquisse un sourire crispé derrière son pc. Adieu 2.500€, adieu bons mots et belles tournures ! Qu’à cela ne tienne, du travail c’est du travail !

Il est 16h en ce lundi au soleil, et Raoul reçoit le fichier de 10.000 mots et un glossaire à moitié rempli, à renvoyer avant vendredi 14h.
Ce fichier, à quoi ressemble t’il ?

Et bien c’est un fichier excel, à remplir sans changer la mise en forme, en utilisant un certain nombre de caractères pour certaines cellules et en prenant garde à ne pas supprimer le code.
Raoul s’attèle donc à la tâche avec bonne humeur, car Raoul aime son métier. Il commence par traduire, puis relit, corrige, change, re-relit et re-corrige. Il ne compte pas ses heures et travaillent alors que d’autres passent une soirée reposante, seul dans l’intimité de son petit bureau. Quand d’autres dorment déjà du sommeil du juste depuis des heures, Raoul s’acharne sur un morceau de texte qui ne rend pas bien. Il décide d’aller se coucher et de se lever quelques heures plus tard à l’heure où d’autres partent au bureau, car il n’avancera plus cette nuit et il n’a pas beaucoup de temps.

Sa traduction terminée, lue et relue, il envoie son fichier à l’agence qui le transfèrera au client, après avoir vérifié et compilé.
Les développeurs, une fois en possession du fichier excel de Raoul et de ses quatre collègues anonymes, implémentent en lieu et place du texte original les traductions en français, espagnol, allemand et italien. Avant cela, ou en parallèle, les acteurs enregistrent les phrases traduites pour doubler les personnages.

Cas n°2 : Thierry, testeur de localisation

Thierry travaille pour une société de localisation. Il aime les jeux vidéo, le bon français, le chocolat et le texte qui rentre dans les cases (l’une de ces propositions n’est pas nécessaire pour ce métier). Thierry est entouré de trois autres Français et travaille en collaboration avec quatre Italiens, quatre Allemands et quatre Espagnols.

Ce matin, Thierry arrive au bureau et son chef de projet réunit toute son équipe pour dire que les fichiers vont arriver dans la journée, mais qu’il ne sait pas encore comment ça va se passer. Thierry s’installe à son poste, il attend le jeu avec impatience. Mais la version a du retard, et c’est au bout de trois jours qu’elle arrive. Le travail de Thierry sera de rapporter les bugs qu’il trouvera dans le jeu (que Raoul n’avait pas, lui, rappelez-vous), afin de mettre au courant les développeurs des problèmes qu’il peut y avoir avec le texte français. Les bugs techniques, ce n’est pas à lui de s’en occuper. Normalement, il ne devrait pas y en avoir.

Lui il doit repérer en priorité : le texte qui dépasse des cases, les fautes d’orthographe atroces qui lui sautent au visage pour lui dévorer les yeux (oui, c’est l’effet que ça nous fait à nous autres grammar nazis), les phrases qui ne vont pas en contexte, les morceaux non traduits, les audios qui ne correspondent pas aux sous-titres,…

Thierry s’aperçoit donc que si Raoul a bien fait son travail (ça c’est nous qui le savons, Thierry lui ne peut pas deviner), deux autres de ses collègues ont pris un peu ça par-dessous la jambe. Du coup, il repère énormément d’erreurs d’usage, des phrases littérales, parfois même des contresens. Heureusement, il est à même de corriger les fichiers de texte, car le client les a mis à disposition. Pas besoin de rentrer un bug pour chaque faute d’orthographe et ça c’est bien pour Thierry et ses collègues qui gèreront ça entre eux. Ils étudient les phrases et les mots qui ne correspondent pas à ce qu’il y a à l’écran, car Raoul a dû faire des choix pour certains termes ambigus, mais sans connaître le contexte (il aurait pu demander aux développeurs, comme pour un autre projet, mais là il n’a pas eu le temps). S’il est bien tombé dans 95% des cas, il reste 5% qui ne collent pas. Thierry et ses collègues se battent donc à coups de synonymes et de nuances jusqu’à ce que le bon mot soit enfin trouvé et toutes ses occurrences remplacées.

Tout en jouant au jeu de la manière la plus exhaustive possible (« T’as vu Jean-Louis, quand tu lui as parlé 200 fois au PNJ là, il te dit « t’a pas un peu fini de me les briser ». Il a oublié le « s » à as !»), Thierry corrige donc les fautes d’orthographe qui traînent, compare avec le texte original et fait les changements qui s’imposent, rapporte les mots et phrases qui dépassent en proposant des locutions plus courtes ; les développeurs ne parlant aucune langue européenne, ils ne peuvent pas relire et il faut toujours être très précis pour ne pas qu’ils corrigent ce qui est bon, tout en laissant ce qui n’est pas bon.

Mais le temps est compté, les bugs corrigés génèrent d’autres bugs, les développeurs débordés parent aux bugs les plus pressés, une fausse manipulation a effacé les fichiers texte précédents, les caractères spéciaux ne s’affichent plus et ce dans quatre langues différentes, et la moitié des sous-titres ne correspond pas aux phrases prononcées. Thierry et ses collègues essaient d’arranger ce qui est en leur pouvoir mais la fin du projet est là et ils ne peuvent pas l’arrêter. Le jeu doit partir et ils n’ont plus le droit d’y toucher, comme à l’école vous vous rappelez : « Posez les crayons, levez les mains, Kevin ramasse les copies ». Les joueurs recevront un jeu avec des phrases en anglais, des sous-titres approximatifs et un problème de caractères spéciaux, sans parler des fautes d’orthographe que Jean-Louis a vues la veille dans le niveau caché, que Thierry n’avait pas eu le temps d’atteindre, malgré les 25 parties qu’il aura commencées.

Résultat

– Le joueur exigeant et connaisseur reçoit enfin, après des mois, des années d’attente parfois, sa version de « Resident may cry 2 – La revanche des voisins zombis qui font du tapage nocturne » (le joueur exigeant et connaisseur a des goûts éclectiques). A peine lancé, il repère immédiatement les problèmes de sous-titres et les fautes d’orthographe, et s’exclame en levant les bras et la manette au ciel « Ils auraient pu traduire ces phrases quand même ! Qu’est-ce qu’ils font les studios et les testeurs ? Payés à rien fiche oui ! »

– Les studios pestent que les testeurs ont envoyé trop de changements de texte et qu’ils sont là pour tester et puis c’est tout. Ce ne sont pas des traducteurs, chacun son travail, à la fin !

– Les testeurs, eux, ont envoyé un jeu « pas fini » et râlent après les traducteurs pas fichus d’adapter correctement trois phrases.

– Enfin, les traducteurs blâment le Destin et les grands studios de jeux vidéo qui ne leur laissent jamais le temps de faire du bon travail pour la bonne et simple raison que des marketeux ont décidé que le trouze octembre était une date faste, propice aux profits, ça a été calculé sur des années d’études de marché et de statistiques ça madame (c’est aussi mentionné dans l’Almanach du parfait marketeux qui sait mieux que tout le monde comment vendre des choses – Edition révisée 2012, aux Editions Robert Sansfond).

Bien entendu, ça ne se passe pas toujours comme ça. Il y a des jeux qui sortiront sans une faute et d’autres traduits et adaptés en Chinde, par des étudiants Finlonais, truffés d’erreurs et à moitié finis.
Mais, vous saisissez maintenant pourquoi la réponse à la problématique « pourquoi les jeux vidéo sont mal traduits » regroupe les deux problèmes les plus clichés du monde : le temps et l’argent.

Et j’espère qu’à l’avenir, devant ce morceau de texte coupé au milieu et ce nom d’arme saugrenu, vous lèverez votre poing vengeur en direction des studios en incriminant haut et fort les marketeux, le capitalisme et les robots traducteurs, tout en remerciant les Raoul et les Thierry d’avoir tout fait pour que 95% de votre jeu soit en bel et bon français, avec caractères spéciaux et sous-titres qui correspondent.
Mine de rien, les caractères spéciaux, c’est important.

L’auteur
Personnage mystérieux et discret de la communauté geek, Mars, @Flammechant sur twitter, se définit ainsi : “Traductrice, Journaliste, Cosplayeuse, Gameuse, pas forcément dans cet ordre et re mi-ours derrière.”

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1 commentaire
  1. Super cet article, et j’adore ta conclusion, je m’y retrouve…
    Oh oui, je lèverai mon poing! Salopards de capitalistes ultralibéraux et de culte de l’argent facile! 😉

Les commentaires sont fermés.

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