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Des chercheurs ont découvert la première molécule fractale de l’histoire

Cette structure étonnante, jamais observée dans le vivant à cette échelle jusqu’à présent, semble être le fruit d’un accident évolutif.

Les fractales, ces motifs géométriques qui présentent une structure strictement identique à toutes les échelles, fascinent les mathématiciens et le grand public depuis des décennies. Vous connaissez certainement les exemples les plus célèbres, comme le fameux ensemble de Mandelbrot. En plus de ces représentations mathématiques, on en trouve aussi un peu partout dans la nature à toutes les échelles, des immenses galaxies aux minuscules flocons de neige en passant par les choux romanesco.

Fractales Nature
© Marc Newberry – Unsplash / VENUS MAJOR – Unsplash

Des tas de molécules présentent également des motifs comparables, avec des structures qui semblent se répéter à différentes échelles. Mais à chaque fois que des chercheurs se sont penchés sur la question, ils ont été forcés de conclure que ces objets ne répondaient pas à cette définition mathématique très précise ; personne n’a jamais trouvé de fractale au niveau moléculaire. Ou du moins, c’était le cas jusqu’à présent. Une équipe internationale de chercheurs affiliée au prestigieux Institut Max Planck et à l’Université de Marbourg, en Allemagne, ont annoncé la découverte de la toute première véritable molécule fractale, un objet qui pourrait être le résultat d’un étrange accident évolutif.

Tout est parti des cyanobactéries, des micro-organismes exceptionnellement importants dans l’histoire de la vie sur Terre. Les chercheurs considèrent que ce sont les premiers organismes à oxygéner massivement notre planète, un événement qui a largement conditionné la trajectoire évolutive du vivant. Elles sont aussi suspectées d’être les précurseurs des chloroplastes, ces structures qui donnent leurs pouvoirs de photosynthèse aux plantes vertes. Et aujourd’hui encore, ce sont les clés de voûte de très nombreux écosystèmes.

Une fractale triangulaire jamais observée dans le vivant

En étudiant le métabolisme de ces organismes, les chercheurs sont tombés sur la citrate synthase. C’est une enzyme déjà connue des spécialistes de la chimie organique, notamment pour son rôle dans le cycle de Krebs — une voie métabolique très importante qui est à la base de la production d’énergie dans les cellules.

Pourtant, un détail a échappé à tout le monde jusqu’à présent : les auteurs de cette nouvelle étude ont remarqué qu’elle était capable de s’assembler spontanément selon un motif fractal, le triangle de Sierpiński.

Une observation qui a pris l’équipe au dépourvu, car cette structure n’a tout simplement jamais été observée dans un être vivant. « Nous sommes tombés sur cette structure complètement par accident, et nous n’avons presque pas réussi à croire ce que nous avons vu au microscope électronique », explique Franziska Sendker, auteure principale de l’étude. « La protéine formait ces magnifiques triangles, et en prenant du recul, nous avons aussi observé ces trous triangulaires répétitifs qui n’ont rien à voir avec tout ce que nous avons observé chez les protéines à ce jour », continue-t-elle.

Une protéine qui n’en fait qu’à sa tête

Cette curieuse exception a fait émerger tout un tas de questions, notamment sur l’origine de cette structure si particulière. Un mystère particulièrement difficile à résoudre. « C’est l’une des structures les plus complexes, mais aussi les plus fascinantes que j’ai vues de toute ma carrière », explique Jan Schuller, co-auteur de l’étude. « Le problème, lorsqu’on cherche à déterminer la structure d’une fractale, c’est que nos techniques d’imagerie ne savent pas où donner de la tête. L’algorithme se focalisait systématiquement sur ces petits triangles au lieu de voir les plus grandes structures auxquelles ils appartenaient. »

Après moult ajustements, l’équipe a enfin réussi à cartographier rigoureusement la citrate synthase. Les chercheurs ont ainsi pu comprendre comment elle adoptait cette structure si particulière. Et il se trouve que le processus est très différent de ce qu’on observe chez la plupart des protéines. Normalement, quand ces dernières s’assemblent, elles suivent un motif hautement symétrique calqué sur celui de ses voisins. Mais la citrate synthase, en revanche, viole allègrement cette règle ; différentes chaînes de protéines interagissent de façon différente en fonction de leur position dans le motif.

Mais comme c’est souvent le cas en biologie structurale, la résolution de cette première énigme en a immédiatement fait émerger une seconde : pourquoi diable l’évolution a-t-elle favorisé l’apparition de cette curieuse architecture ? Quel est son intérêt au niveau physiologique ? S’agit-il d’un mécanisme de régulation, comme chez de nombreuses autres enzymes capables de s’autoassembler ?

Un accident évolutif

Et selon les auteurs, la réponse est assez surprenante : il semble que ces fractales… ne servent absolument à rien. En effet, quand les chercheurs n’ont pas observé la moindre différence physiologique lorsqu’ils ont empêché l’enzyme d’adopter cette structure. « Les cyanobactéries où on trouve cette enzyme ne semblent pas en avoir grand-chose à faire que la citrate synthase suive un motif fractal », explique Georg Hochberg, biologiste de l’évolution et co-auteur de l’étude. Plutôt curieux, sachant que la structure 3D des protéines est généralement intimement liée à leur rôle dans le métabolisme.

Les chercheurs en ont donc conclu qu’il s’agissait probablement d’une sorte d’accident évolutif hasardeux. Pour tester cette hypothèse, ils ont utilisé des outils de modélisation statistiques pour reconstituer la trajectoire de cette protéine fractale tout au long de l’évolution. Ils ont ainsi pu reconstituer l’ancêtre primitif de la citrate synthase, et le synthétiser en laboratoire. Cela a permis de montrer que cet arrangement pouvait émerger de manière très soudaine, avec quelques petites mutations discrètes dans le patrimoine génétique des cyanobactéries.

Comme toujours en biologie du développement, il sera impossible de confirmer rigoureusement cette théorie ; il faudrait une véritable machine à remonter le temps pour y parvenir. Mais il s’agit tout de même d’une piste de recherche enthousiasmante, car cela suggère que d’autres espèces pourraient héberger d’autres types de molécules fractales, cette fois avec de vrais rôles physiologiques. Il sera donc très intéressant de voir si d’autres chercheurs trouveront des objets de ce genre à l’avenir.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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