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Le DLC d’Elden Ring ne fait pas l’unanimité, et c’est une bonne nouvelle

Les retours mitigés par rapport à Shadow of the Erdtree sont le résultat d’un parti-pris technique et artistique qui montre l’importance d’assumer son concept pour produire un jeu mémorable.

Shadow of the Erdtree, le premier DLC d’Elden Ring, était incontestablement l’une des sorties les plus attendues de l’été, et même de l’année. Étant donné que le jeu de base a été absolument plébiscité par la critique avec un titre de Jeu de l’Année 2022, on pouvait s’attendre à un nouveau carton.

Pourtant, à l’heure où ces lignes sont écrites, l’extension fait l’objet de commentaires assez mitigés de la part de la communauté. L’extension doit se contenter d’un maigre 65 % d’avis positifs sur Steam – bien loin des 90% du jeu de base. De nombreux joueurs ont eu des mots très durs envers le studio FromSoftware. Une bonne occasion de parler de difficulté, mais aussi de l’évolution de la recette du studio au fil des années.

Le premier constat qui s’impose, c’est que certains des nouveaux boss introduits par le studio sont effectivement brutaux — même par rapport à ceux des DLC de Dark Souls 3, qui avaient déjà la réputation d’être corsés. Une partie du public a donc choisi de se défouler sur la page Steam du jeu et sur des plateformes communautaires comme Reddit. « C’est vraiment n’importe quoi », « c’est un manque de respect envers les joueurs qui payent »… les joueurs déçus n’y sont décidément pas allés avec le dos de la cuillère.

Une difficulté “numérique”…

Il y a deux facteurs qui peuvent expliquer pourquoi Shadow of the Erdtree suscite de telles réactions. La première est strictement mathématique ; non seulement certains de ces boss infligent des dégâts terrifiants et disposent eux-mêmes d’une quantité de vie massive, mais ils bénéficient aussi d’un scaling très important. En d’autres termes, plus le personnage du joueur est fort lorsqu’il débarque dans le Royaume des Ombres, plus les ennemis vont gagner en puissance. Par conséquent, les adeptes de la bonne vieille technique qui consiste à rebrousser chemin temporairement le temps de transformer son personnage en vraie machine à tuer se retrouvent dans l’impasse. Plus question d’annihiler n’importe quel ennemi en un clin d’œil par défaut : dans Shadow of the Erdtree, il n’y a pas d’autre choix que de faire preuve de persévérance et d’affiner sa stratégie au fil des défaites.

Les développeurs de FromSoftware ne sont pas fondamentalement sadiques. Pour contrebalancer ce scaling, ils ont aussi introduit des équipements de plus haut niveau ainsi que de nouveaux éléments de gameplay comme les Scadutree Fragments, des objets disséminés aux quatre coins de la carte qui permettent d’augmenter massivement la puissance de son avatar. Une idée qui, de notre point de vue, est à la fois fraîche et intéressante. Elle force le joueur à explorer les magnifiques paysages concoctés par le studio et à découvrir progressivement cette montagne de nouveau contenu. Mais une partie de la communauté ne semble pas adhérer à cette approche — ou, plus largement, à l’évolution de la philosophie de game design de FromSoftware.

…et un concept en évolution constante

Car ces obstacles purement numériques ne sont pas les seuls éléments qui rendent l’extension difficile et frustrante pour certains joueurs. En effet, la façon de travailler des développeurs a énormément évolué depuis la sortie de Dark Souls premier du nom en 2011. À l’époque, les boss étaient finalement assez rudimentaires, avec des attaques facilement identifiables ponctuées de longues périodes d’inactivité qui laissaient la possibilité au joueur d’infliger de gros dégâts en retour. Le problème, c’est que cette philosophie de design a vite montré ses limites ; avec un peu d’entraînement, ces ennemis devenaient vite prévisibles et trop faciles, et la communauté en demandait davantage.

FromSoftware a donc entrepris de densifier les combats au fil des jeux. Dans Dark Souls II, puis encore davantage dans Dark Souls III et Elden Ring, les boss sont devenus de plus en plus rapides et complexes.

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Midir, le terrible gardien de la Cité enclavée, a donné du fil à retordre à bien des joueurs de Dark Souls III. © LadyinCrimson9 / DarkSouls Fandom Wiki

Et comme nous l’expliquions dans notre preview, le studio a poussé cet aspect encore plus loin avec Shadow of the Erdtree. Après Maliketh, Radagon et l’impitoyable Malenia, FromSoftware a encore montré avec ce DLC qu’il en avait définitivement terminés avec les boss patauds qui se laissaient facilement victimiser entre quelques petites séquences d’attaque téléphonées ; Miyazaki a tout misé sur des combats plus exigeants et intenses que jamais. Au grand dam de certains joueurs qui ne parviennent plus à trouver de solution. « Les boss sont vraiment injustes, j’en ai assez des chaînes de 10 attaques qui me tuent en un ou deux coups », explique l’auteur d’une review négative sur Steam. « Comment je suis censé esquiver si le boss ne me donne absolument aucune indication ?! », peste un membre de Reddit.

Être ou ne pas être tout public, telle est la question

En prenant un peu de recul, on se retrouve face à une question de game design très ancienne, mais toujours intéressante. C’est effectivement difficile de contenter tout le monde à cause de la grande hétérogénéité de la communauté. D’un côté, le noyau dur de la fanbase est composé de vétérans chevronnés avec des années d’expérience derrière eux ; ceux-ci maîtrisent les fondamentaux de la franchise depuis belle lurette et recherchent activement cette hausse progressive de la difficulté qui les force à se surpasser et à explorer de nouvelles stratégies.

De l’autre, on a aussi une horde de nouveaux venus qui ont découvert les souls like avec Elden Ring et veulent simplement s’offrir une aventure épique sans devoir suer à grosses gouttes à chaque rencontre. Et il faut bien admettre que ces derniers se retrouvent dans une situation potentiellement frustrante. Ceux qui n’ont pas eu le loisir d’évoluer au contact de la franchise comme les fans de la première heure auront forcément plus de mal à prendre le train en marche.

Dans ce contexte, comment faire en sorte que chacun puisse y trouver son compte ? Pour le studio, la réponse est toute trouvée : ce dilemme n’en est finalement pas un, et les développeurs ont clairement choisi leur camp. Le père de la franchise Hidetaka Miyazaki défend sa vision du game design et assume ouvertement le fait d’avoir créé un jeu qui n’est pas fait pour tout le monde — et tant pis si cela implique de laisser quelques joueurs occasionnels sur le carreau.

« Si nous voulions vraiment que tout le monde joue au jeu, nous aurions simplement pu baisser la difficulté. Mais ce n’était pas la bonne approche », explique-t-il dans une interview au Guardian. « Si nous avions suivi cette piste, je ne pense pas que le jeu aurait eu un tel impact. Ce sentiment d’accomplissement que les joueurs ressentent lorsqu’ils surmontent ces obstacles est une composante fondamentale de l’expérience. Abaisser la difficulté les priverait de cette joie, et à mon sens, casserait le jeu en lui-même », précise-t-il.

Au-delà de la difficulté, un parti-pris artistique très important

Vous l’aurez compris, il ne faudra pas compter sur FromSoftware pour renoncer à sa vision… et n’en déplaise à ceux qui n’ont pas apprécié ce DLC, c’est une très bonne nouvelle que le studio s’y accroche ainsi.

Au bout du compte, le jeu vidéo reste un art, et les partis-pris sont une composante cruciale de la démarche artistique. De plus en plus de studio sacrifient cette idée sur l’autel du business en proposant des titres aseptisés pour toucher l’audience la plus large possible. Mais si l’on raisonne à l’échelle globale, c’est une dynamique qui ne peut que nuire au jeu vidéo en général : en substance, un jeu qui se destine à tout le monde sans exception, c’est finalement un jeu qui ne parlera à personne.

Elden Ring Jeu Mobile
© Bandai Namco

Elden Ring et son DLC sont un excellent exemple du contraire. Certes, ils ne sont certainement pas exempts de tout reproche (gestion atroce de la caméra, soucis d’optimisation…). Mais il s’agit tout de même d’une œuvre absolument formidable et surtout incroyablement mémorable. Et cet impact, on le doit essentiellement aux choix tranchés et assumés du studio.  Une recette aussi pimentée ne plaira jamais à tout le monde – mais elle serait aussi beaucoup moins savoureuse pour les amateurs si elle était plus édulcorée, et il est fondamental de cultiver cette diversité de goûts à travers ce genre de démarche.

En un sens, le score assez moyen de Shadow of the Erdtree peut donc être interprété comme une bonne nouvelle. Il illustre parfaitement à quel point ce genre de parti-pris est clivant, comme nous l’avons constaté de manière particulièrement flagrante dans les commentaires de notre double dossier sur la difficulté des jeux vidéo (voir ci-dessous). Et ce faisant, il alimente aussi des discussions importantes sur la nature même de notre loisir préféré, et que vous appréciez Elden Ring ou non, c’est toute l’industrie qui en bénéficiera sur le long terme.

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